RDC : toujours pas d’enquête après deux incursions armées au domicile d’une femme journaliste à Beni

21 novembre 2021 Par cfj 0

Des voix ne cessent de se lever pour demander aux autorités de mener des enquêtes sérieuses autour des incursions qui se répètent au domicile d’une femme journaliste de la ville de Beni. Il s’agit de Promesse Kombi, journaliste de la Voix de l’Université Officielle de Semuliki, VUOS, une radio émettant dans la ville de Beni, au Nord-Kivu, à l’Est de la RDC. A deux reprises, son domicile été la cible d’hommes en armes non autrement identifiés. En plus des matériels de travail et une importante somme d’argent emportés pendant les deux incidents, pour le dernier cas,  les agresseurs ont menacé, bien que sans succès, d’amener avec eux la victime. Face à cette menace de la sécurité d’une professionnelle des médias,  plusieurs voix concordent pour s’interroger sur les raisons de l’absence d’enquêtes autour de ce cas, dès lors que des efforts ont été fournis pour saisir qui de droit afin de faire de la lumière sur les faits mais aussi de renforcer la sécurité des journalistes exerçant dans la zone en général et de la victime de ces deux incurions, de manière singulière en vue de prévenir le pire.

Les événements se déroulent aux environs de 22 heures, dans la nuit du 1er au 2 septembre 2021. Le domicile de la journaliste Promesse Kombi, situé dans l’un des quartiers les plus mouvementés de la ville de Beni est assiégé par un groupe compact d’hommes en armes. Ils sont munis notamment de machettes et couteaux ainsi que de fusils. Deux d’entre eux sont vêtus en uniformes semblables à ceux de l’armée alors que les autres avaient des tenues civiles. La journaliste est surprise de voir ces hommes surgir et pénétrer jusque dans sa chambre à coucher. En ce moment-là, Promesse passait ses notes des cours pour préparer un examen pour le lendemain. Ses bourreaux lui exigent de leur donner tout l’argent qu’elle gardait, son ordinateur portable, son enregistreur numérique de son ainsi que son téléphone portable, faute de quoi ils allaient mettre fin à sa vie.

« Je les ai vus. Ils n’étaient pas masqués du tout. Ils ont opéré pendant environ une demi-heure en faisant une fouille systématique dans tous les appartements et dans des chambres. Ils ont pris plusieurs biens de valeur ainsi que de l’argent. La somme est évaluée à 500 mille francs congolais (équivalents à 250 dollars américains) », raconte la victime.

Ces porteurs d’armes ont même tenté de repartir avec la victime, mais celle-ci a manifesté une résistance.

« …après, ils m’ont demandé de me lever et de les suivre. Et je leur demandé pourquoi je devais les suivre alors qu’ils ont pris tout ce qu’ils ont demandé.  Je commençais à crier fort pour alerter le voisinage. Puis ils sont sortis de ma chambre.  Au sortir de la parcelle, ils ont crépité des balles en l’air pour se frayer un passage et dissuader les voisins qui tentaient de nous venir au secours », conte la journaliste Kombi Promesse.

Aucune intervention des autorités sécuritaires n’est arrivée cette nuit. Rien de palpable n’a été fait dans le sens de mener des enquêtes. Le lendemain, la victime avait fait signe à l’autorité de base, à savoir le chef de la cellule, afin qu’elle en fasse aussi part à sa hiérarchie. Du coup, cela est perçu de différentes manières par les habitants du ménage autant par les voisins de la maison assiégée.

« Lorsqu’il y a crépitement des balles, les autorités ne peuvent prétendre n’avoir pas été informées. Encore que les événements se sont passés dans un intervalle de couvre-feu. Il est supposé que seules les forces de l’ordre sont censées être à l’extérieur à ces heures pour des patrouilles. Ça fait beaucoup réfléchir car personne parmi les hautes autorités de la ville n’est venu suivre la question le matin ou même chercher des renseignements. On a juste vu les voisins et le chef de cellule constater impuissamment le fait…», commente Francine Kahindo, cette voisine de la résidence de la journaliste.

La perception négative

Pour la victime et les membres de sa famille, il y aurait une sorte de légèreté dans la façon de prendre en charge cet incident « qui aurait pu couter la vie à des gens ». Ils se disent surpris que les choses semblent passer inaperçues et que ni une simple constatation ou  une descente sur le terrain semble n’avoir été entrepris de la part des autorités après plusieurs mois.

« On s’attendait à l’arrivée matinale des autorités sécuritaires pour faire le constat, mais cela n’a pas été le cas. Une opération dans laquelle les bandits recourent à l’arme à feu et  crépitent des coups de balles ne devait pas passer sous silence. Les autorités sécuritaires prendraient les choses en mains et venir d’elles-mêmes pour diligenter des enquêtes autour de ce cas. Nous avions alerté au numéro vert la même nuit de l’incident, mais on n’avait pas été répondu. Le chef de la cellule auprès de qui nous avons expliqué les faits devait, à son niveau, remonter l’information à sa hiérarchie. Mais c’est comme un fait divers et je pense que cette façon de faire, c’est prendre les choses à la légère et avec cette façon de banaliser les événements, on ne saura jamais qui insécurisent la ville, qui tuent des civiles, qui attaquent… », Commente, sous annonymat, une autre voisine.

Le principe de solidarité en épreuve?

Même dans la communauté professionnelle de la victime, ses confrères ont tu le fait, peut-être pour une ou une autre raison.

« Bien que j’étais déjà dépouillée de mon téléphone portable, j’avais pris le soin d’alerter quelques acteurs sociaux ainsi que quelques confrères journalistes sur ce qui m’était arrivé moi ainsi que ma famille. Mais je me suis sentie délaissée et abandonnée à moi-même », marmonne la journaliste.

Beatrice Asimoni, journaliste à la Radio-télévision Rwanzururu de Beni commente que le fait que les incursions nocturnes, les cambriolages, les crépitements de balles semblent faire partie du quotidien des habitants de Beni, ces événements n’attirent plus beaucoup l’attention et semblent être pris pour un phénomène normal. Delphin Mupanda, journaliste à la Radio-télévision Rwanzururu de Beni avance les mêmes arguments.

« Ça fait longtemps qu’il se passe plusieurs incursions nocturnes ici à Beni. Parfois, les rédactions ne savent plus comment s’y prendre, quoi diffuser et quoi ne pas diffuser… » Opine-t-il.

Certains confrères expliquent quant à eux que la journaliste victime de cette incursion ne leur en avait pas fait part. C’est le cas d’Azarias Mokonzi de la Radio Oasis Congo de Beni. « …la consœur n’étais pas venue au rendez-vous pour une interview, voilà pourquoi notre radio n’en avait pas parlé », argumente-t-il.  Même raison avancée par Sadam Patanguli de la Radio Canal Rafiki de Beni.

« La victime n’a pas alerté notre radio… », Avance-t-il.

Entretemps, quelques autres journalistes avouent tout simplement leur inaction vis-à-vis de ce qu’a traversé leur consœur Promesse Kombi.

Jacques Kikuni Kokonyange, un grand nom de la presse dans la ville de Beni regrette que l’Amical des Journalistes du Congo (AJC) dont il est ancien Vice-président soit aujourd’hui en veilleuse.

« C’est au sein de cette structure que se géraient jadis des cas de solidarité entre les professionnels des médias en difficulté. Cette structure réunissait les journalistes de la région, les assistait et défendait leurs droits. L’AJC jouait un grand rôle dans la promotion des droits journalistes à l’époque et était la seule structure qui régissait les journalistes de la région jusqu’à la création de l’actuelle Union Nationale de la Presse du Congo, UNPC. Puis, d’autres structures ont vu le au fil du temps. L’AJC a cessé de fonctionner vers 2015  avec l’indisponibilité de la plupart de ses animateurs. Aujourd’hui, elle n’existe que sur le plan statutaire mais pas sur le plan fonctionnel», se rappelle Jacques Kikuni Kokonyange.

Quand les faits se répètent

Cette incursion d’hommes armés au domicile de la journaliste Promesse Kombi n’est pas la première du genre. Au cours de la même année, précisément en mars 2021, un autre groupe de porteurs d’armes à feu avaient opéré dans son domicile.

« Je me souviens encore qu’ils avaient emporté plusieurs biens de valeur », se remémore la journaliste.

Il y a peu, le journaliste Jonathan Kataliko de la même ville de Beni a été agressé physiquement au niveau de la mairie de Beni. Peu avant, le journaliste Erickson Luhembwe a également été agressé. Les médias en avaient parlé à longueur des journées.

Et les organisations féminines ?

La présidente de l’Union des Femmes des Médias pour le développement de Beni explique que son organisation n’intervient pas dans la protection des femmes journalistes mais la défense des droits de femmes journalistes marginalisées. NONO HYEMOPO ajoute par ailleurs que le FMPD n’a pas été saisie de ce cas.

«…et même si elle était saisie, l’organisation n’allait rien faire, vu que cela ne rendre pas dans leurs objectifs », poursuit-elle.

Même son de cloche du côté des organisations de défense des droits de la femme qui fonctionnent dans la ville de Beni. Le Réseau des Journalistes d’Investigation autour des Agressions contre les Femmes Journalistes (REJIAFJ) a tenté à vain d’obtenir un entretien physique avec le responsable de l’organisation One Girl One Leader, une organisation féminine qui intervient aussi dans la protection de jeunes filles. Cette structure a simplement orienté vers le Bureau des Droits de l’Homme « qui a le lead de la protection des droits de l’homme ».

L’organisation « Femme Citoyenne Engagée », intervenant dans la protection et accompagnement juridique des femmes estime que cet acte ignoble ne peut pas rester impuni. Elle explique qu’il y a nécessité d’agir en vue de prévenir que quelque chose de grave n’arrive à la femme journaliste ainsi qu’à ses confrères et consœurs.

« Deux incursions au domicile d’une femme, c’est inacceptable. Nous, femmes, avons droit à la sécurité, à la protection. Il faut voir que cette femme journaliste court un grand danger. Elle est peut-être ciblée quelque part. On ne sait pas ce qui lui arrivera pour la troisième fois », opine Maitre Tudy Diane, coordonnatrice de Femme Citoyenne Engagée.

Elle pense par ailleurs que les structures féminines de Beni, dont les Femmes Cotoyennes Engagées, les Femmes Journalistes et d’autres doivent se liguer pour dénoncer, pour crier haut au niveau des instances judiciaires et aux autorités afin de dire que trop c’est trop.

« …sa situation doit attirer l’attention de manière particulière. Elle doit aussi bénéficier de la réparation comme, en plus de vivre en insécurité, ses matériels de travail ont été emportés. Dans une telle situation, cette femme a besoin d’un accompagnement juridique, psychologique et mérite une protection spéciale », soutient Maître Tudy sans dire exactement ce qu’a fait sa structure face à cet incident.

Par ailleurs,  Erickas Mwisi, rédacteur en chef de la Radio la Voix de l’Université Officielle de Semuliki (VUOS) et responsable hiérarchique de la victime, déclare que cet incident est inacceptable et qu’elle ne passerait inaperçue.

« Le journaliste étant considéré comme un partenaire incontournable des services de sécurité et il est inconcevable qu’elle soit la cible des attaques nocturnes répétitives et que cela soit pris comme un fait chien écrasé. Le comble est que nous sommes dans une période d’Etat de siège, une sorte de loi martiale. Et c’est là que ça devient à la fois frustrant et révoltant », dénonce-t-il.

L’Union Nationale de la Presse Congolaise (UNPC-Beni) indique avoir initié quelque chose en termes d’actions pour essayer tant soit peu de contribuer à la protection de la journaliste.

« Il y a quelque chose qui sera fait, mais comme c’est une question de sécurité, nous n’allons pas être beaucoup plus explicite pour éviter d’étaler les dispositions prises. Nous avons quand-même alerté les instances supérieures pour qu’elles prennent action », indique Mustapha Mulonda.

Il précise que la corporation a déposé une plainte contre inconnu au niveau du parquet de Beni, bien que le parquet ainsi que la victime aient réagi ne rien en savoir.

Entretemps, les voix de plusieurs journalistes restent unanimes sur le fait que pour renforcer la sécurité des journalistes pendant la période d’Etat de siège, l’autorité urbaine de Beni, la police, l’armé ainsi que les services de renseignement devraient rendre disponible un numéro vert spécialement pour la sécurité des journalistes.

« Cela permettra d’alerter à temps les services de sécurité en cas de menace ou d’attaque. D’ailleurs, je me rappelle que cette requête a déjà été présentée de manière formelle auprès du Maire de Beni sans obtenir une suite favorable », ajoute Erickas Mwisi, rédacteur en chef de la VUOS.

Entretemps le Collectif des Femmes Journalistes a introduit une plainte contre inconnu auprès du parquet militaire de Beni. Le dossier est en instruction. La victime a comparu une fois et attend la suite du dossier.

En septembre 2019, l’ONG Journalistes en Danger (JED) avait fait publié un communiqué de presse faisant état de la dégradation de la situation de sécurité et protection des journalistes à Kinshasa ainsi que dans les provinces depuis l’investiture en janvier 2019 du Président Felix Tshisekedi.  JED «appelle les nouvelles autorités de la RDC à prendre des mesures immédiates pour que cessent ces attaques répétées» et «améliorer les choses», lit-on dans ce communiqué.

Pour rappel, Amnesty International classe l’absence d’enquêtes sur les attaques contre les journalistes sur la liste de 10 façons de faire taire un ou une journaliste. Cette organisation cite notamment les attaques physiques, les menaces d’emprisonnement, le harcèlement, la surveillance, les interdictions d’accès à l’internet, le recours excessif aux lois sur la diffamation, la suppression des visas et des permis de travail, le dénigrement ainsi que la fermeture des médias.

Cette enquête a été réaliser par  les journalistes points focaux du REJIAFJ noyau de la ville de Beni :

Anderson Shada Juma,

Régine Okando Ngamanene,

Béatrice Assimonu,

Gloria Manzekele,

et Siku Province 

Dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RDC » du collectif des femmes journalistes appuyé par l’UNESCO. 

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