RDC : à Goma, les stéréotypes de genre menacent la carrière des femmes journalistes

22 février 2022 Par cfj 0

Dans la ville de Goma, au Nord-Kivu, le métier de journaliste fait face à plusieurs défis et contraintes. Autant pour les hommes que pour les femmes, l’insécurité et le banditisme urbain qui persistent dans cette ville constituent une menace pour les professionnels des médias de cette ville cosmopolite. De manière singulière, les femmes journalistes œuvrant dans la capitale provinciale du Nord-Kivu font face à une autre forme de difficulté. Il s’agit des stéréotypes sexistes qui leur sont imposés pour des raisons socio-anthropologiques. Cela ne permet pas du tout aux femmes journalistes de bien faire leur travail, surtout de faire valoir leur leadership en milieu professionnel.

Goma, la ville volcanique, la ville la plus mouvementée de la province du Nord-Kivu, regorge en son sein plusieurs médias. Au moins 27 stations de radio, 7 chaines de télévision et environs 21 médias en ligne. Plusieurs journalistes tant nationaux qu’expatriés, hommes et femmes, travaillent dans cette ville où ils sont contraints à faire face à certain nombre de défis ayant trait à l’exercice de leur métier. A plus de l’insécurité qui s’illustre au quotidien par des enlèvements et assassinat vient s’ajouter la considération stéréotypée de la femme journaliste. Les clichés sexistes sont une menace réelle pour les femmes journalistes de la ville de Goma. Ils sont enregistrés aussi bien dans la communauté, sur le terrain de récolte d’informations et même au sein de leurs propres maisons de presse.

Nonou KAZAKU, journaliste à UB FM GOMA, a une expérience malheureuse et s’en souvient assez souvent.
« J’ai déjà été victime, à maintes reprises, d’une attitude de méfiance de la part de certaines personnes ressources qui ont refusé de m’accorder des interviews par le simple fait que je suis une femme », témoigne-t-elle.

Délice SYAGHUSWA, journaliste-reporter à la Radio Blessing Goma a subi le même sort et cela est resté ancré dans sa mémoire.
« Parfois, on refuse même de nous accorder une interview tout simplement parce qu’on est habillée en pantalon… Personnellement, je déjà été victime des insultes et moqueries de plusieurs formes », raconte Délice.

Le fait d’être femmes leur coûte des comportements et pratiques néfastes.

« … on se retrouve même dans des situations où, seulement parce que vous êtes femme, la personne ressource commence à vous intimider, vous minimiser et montrer clairement qu’elle remet en doute vos compétences alors que vous êtes confiantes de vos capacités et aptitudes », poursuit Délice.

Dans la même ville de Goma, certains parents vont jusqu’à interdire à leurs filles de faire des études de journalisme et surtout d’embrasser la carrière de journaliste. A cela s’ajoutent les préjugés et perceptions négatifs que des membres de la communauté collent aux femmes journalistes allant jusqu’à remettre en doute leurs mœurs.

Quand le harcèlement s’y ajoute

En plus des stéréotypes et clichés sexistes, les femmes journalistes de Goma font aussi face au harcèlement sexuel. Cet autre défi est réel sur le terrain de récolte des informations et même dans leur environnement de travail.

Francine (son prénom a été changé pour raison de protection) est une femme journaliste dans un média de Goma où elle preste comme journaliste-reporter depuis 6 ans. Elle a fait face à plusieurs formes de harcèlement sexuel dans l’exercice de sa profession. Elle a accepté de nous partager son expérience.
« Le dernier cas dont je me souvient de manière fraiche remonte à trois mois. Une source d’information m’a donné rendez-vous dans son bureau. Pour y aller, je me suis fait accompagner par un confrère journaliste. Arrivé à son bureau, il m’a demandé d’entrer seule pour l’interview (c.-à-d. sans le confrère qui l’accompagne, ndlr). Je suis entrée dans son bureau et du coup, il a commencé à me poser des questions alors que c’est moi qui suis venu lui poser des questions. Curieusement, c’était des questions sur ma vie privée. J’ai répondu à certaines et pour celles que je trouvais très personnelle, je me taisais. Il a vraiment enchainé pendant un bon moment. J’ai essayé de le persuader qu’on enregistre l’interview mais d’un coup il a changé son langage et à commencé à me faire des avances, des sollicitations en caractère sexuel. Il m’a même sollicité de l’embrasser avant qu’on commence l’interview. Ce n’est après avoir rejeté sa demande qu’il s’est décidé de ne plus m’accorder l’interview. Il a fait croire à mon confrère qu’on n’a pas fait l’enregistrement parce que j’ai été malpolie avec lui… », conte-t-elle.

Retournée sans les éléments, elle a été sanctionnée pourtant, elle a restitué l’histoire douloureuse qu’elle venait de traverser.
« En arrivant à la rédaction, je me suis expliquée auprès des confrères et de la hiérarchie. Mais personne ne m’a crue. J’ai par contre été sanctionnée par une suspension de mes prestations pendant deux semaines », se plaint-elle.

La réalité des menaces psychologiques

Les agressions et menaces psychologiques constituent une autre difficulté à laquelle les femmes journalistes de Goma font face au quotidien. Et la manière dont les auteurs de ces actes opèrent laisse croire qu’ils le font car profitant de la considération de fragilité qu’ils collent aux chevalières de la plume.

Love Katsongo est journaliste à la radio Tayna de Goma. Durant les quatre années qu’elle vient de passer dans ce métier, elle a survécu à plusieurs menaces de différentes formes. Le dernier cas dont elle se souvient est une menace qu’elle a subit de la part d’une autorité policière de la même ville.

«Vers 5heures 30, à mon réveil, j’ai été envahie par la peur en voyant un homme en uniforme de la police se pointer chez moi. En effet, ce commandant de police me dit qu’il avait besoin d’une information que j’avais diffusée à la radio et qu’il s’en servira comme preuve dans une affaire à son bureau. Il m’a demandé de lui donner l’élément sonore et de n’en parler à personne. L’information dont il avait besoin n’avait pourtant pas été diffusée sur no antennes. En essayant de lui faire comprendre qu’il doit avoir fait une confusion, il a déclaré que nous, femmes journalistes de Goma, faisons le gros dos et que nous subirons chaque fois des conséquences desquelles nous ne saurons pas nous sauver… », raconte la journaliste Love.

De même, Gisèle BAGHENI, une autre journaliste de Goma, se souvient d’une situation qui l’a bouleversé et qui menace sa quiétude jusqu’aujourd’hui

« Il fallait avoir une interview avec une autorité locale sur la perturbation du prix sur le marché. Le prix était allé de quinze milles franc congolais à cinq cents dollars américains. Il fallait avoir la version de l’autorité pour recouper l’information. Nous avons fait un effort pour la trouver mais à vain avançant des arguments sur son manque de disponibilité après plusieurs jours. Avec mon rédacteur en chef, nous avons opté pour une alternative en cherchant une personne proche du domaine pour cette même interview. Ne trouvant pas d’inconvénient à nous répondre, cette source nous a accordé l’interview. Aussitôt informée que j’avais eu des informations ailleurs, cette autorité qui avait refusé l’interview s’est mise en colère et m’a invitée à son bureau. Elle m’a intimidée jusqu’à ravir ma carte de presse. Elle a aussi tenté de saisir mon dictaphone mais j’ai résisté…», se souvient Gisèle dont la carte est restée confisquée au bureau de l’autorité pendant 6 mois et qui s’est trouvée obligée de quitter la ville pour deux semaines afin de contourner la menace tant soit peu.

Agir avec promptitude

Des structures de défenses de droits des femmes et celle de défense des droits des journalistes œuvrant à Goma sont conscientes de la précarité de la situation que traversent les femmes journalistes. L’union congolaise des femmes des médias (UCOFM/Section de Goma), le collectif des radios communautaires du Nord-Kivu (CORACON), l’Union Nationale de la Presse du Congo (UNPC/Goma) et bien d’autres structures mettent en place des stratégies visant à renforcer les capacités des professionnels des medias, avec des particularités sur la situation des femmes journalistes.
C’est autant pour certaines équipes de rédaction qui font de leur mieux pour minimiser le niveau de risque de sécurité physique et psychologique pour les journalistes en général et pour les femmes en particulier. La Radio Tayna est l’un de bons exemples.
« Pour minimiser les risques, par exemple celui de harcèlement par voie téléphonique, nous nous assurons de contacter toutes les sources possibles avec le numéro de la Rédaction. Aux heures vespérales, nous veillons à ce que les journalistes ayant presté le soir rentrent tôt ou passe nuit à la radio. Avant de se rendre sur le terrain, nous rappelons des astuces pour se protéger, les circuits d’alerte et nous définissons des consignes à l’interne à appliquer en cas d’incident. Et par-dessus tout, nous restons en contact permanant avec les autorités sécuritaires… », explique Jérémie KIHAMBU, Rédacteur en chef de la Radio Tayna.

Gracias MWANZA


Cet article a été réalisé dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RD. Congo » du collectif des femmes journalistes (CFJ) avec l’appui de l’UNESCO


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