Beni-Butembo : Déserter sans y être contrainte, l’autre cause ignorée de la déféminisation de la carrière journalistique

16 mars 2022 Par cfj 0

Dans certaines salles de rédaction des radios et télévisions de Lubero, Butembo, Beni, Oicha et Kasindi, au nord de la province du Nord-Kivu,  le nombre réduit de femmes journalistes, il est évident que le nombre de femmes est très inférieur à celui des hommes. Il y a lieu de noter cependant que ce phénomène, en plus d’être causé par l’insécurité persistante dans la région, le harcèlement sexuel en milieu professionnel, la mauvaise foi des promoteurs des médias à promouvoir l’égalité de chance et de sexe dans le processus du recrutement du personnel, est aussi lié à des motivations non élucidées et qui restent inédites. Une dizaine de responsables des médias à Beni et Butembo révèlent que certains cas de renoncement « délibéré » au métier du journalisme par les femmes journalistes ne sont pas souvent bien motivés. Ni les chefs des organes de presse, ni leurs maris, personne ne sait influencer leur décision parce que n’y comprenant rien du tout.  Cette attitude impacte négativement sur plusieurs aspects dont la représentativité des femmes, le leadership ménin, l’égalité des genres et des sexes ainsi que la professionnalisation dans les médias.

Madame Masika Kyandavire Aimé est une journaliste stagiaire à la Radiotélévision Victoire Horizon de Butembo, RTVH. Formée dans l’une des écoles du journalisme de Butembo, cette journaliste a momentanément renoncé à son stage en 2018 sans motif valable.

« J’ai cessé de prester en 2018, je ne sais pas dire exactement la raison de mon abandon, mais, comme vous le savez, tout métier doit avoir une rémunération », tente –t-elle de justifier.

Pareil pour Madame Jenny Bakwanamaha. Jadis journaliste à la Radiotélévision Sauti ya Wakulima, RTSW entre 2012 et 2014, cette dame s’est aussi offerte une place à la Radiotélévision Rwanzururu, RTR-Beni, une radio émettant en ville de Beni. Toutefois, en dépit de cette ascension progressive dans le métier d’informer, dame Jenny Bak, comme elle aime se faire appeler, a malheureusement renoncé à son métier et souhaite rester à la maison sans emploi.

Les hommes, « nous ne sommes pas responsables »

« Je n’ai jamais interdit à mon épouse de faire la radio. Sinon, pourquoi le ferai-jes ? », s’exclame Ndungo Damien, époux à madame Musubao Mbamulyakoki Théthé, détentrice d’un diplôme universitaire en sciences de l’information et de la communication de l’Université de l’Assomption au Congo, UAC depuis 2012. Après son stage académique à la Radio Moto Oicha en 2011, elle vit dans la cité de Oicha, chef-lieu du territoire de Beni. En dépit de multiples sollicitations de la part de ses camarades d’auditoires qui prestent dans les médias de la place, madame Théthé ne veut toujours intégrer une rédaction.

«La grande question que je me pose c’est celle de savoir pourquoi elles ont étudié. Pourquoi on peut refuser d’expérimenter un domaine pour lequel on a fait les études. C’est quand même drôle », réagi Jean de Dieu Masero, également époux à une ancienne journaliste de la radio rurale de Kayna, au sud du territoire de Lubero.

Selon lui, son épouse est la seule dans cette agglomération à avoir fait les études de communication dans une institution supérieure de Goma.

« Pour le travail, c’est elle-même qui ne veut pas », ajoute le mari de Jenny Bakwanamaha, ancienne de RTSW Butembo et de RTR-Beni.

Quand les compétences s’en volent à l’air

Quatre ans après, madame Masika Kyandavire Aimé n’a plus les mêmes compétences professionnelles qu’elles avaient lorsqu’elle prestait. Tout le temps passé à la maison n’a servi qu’à réduire les efforts déjà consentis pendant la période de son stage.

« Je considère le journalisme comme un art, si on ne l’exerce pas quotidiennement, on oublie certaines notions. Je suis consciente de cette réalité. Voilà pourquoi je décidé de reprendre mon stage à la RTVH », admet-elle.

Comme elle, nombreuses femmes journalistes ayant cessé de prester depuis une certaine période avouent qu’elles ne sont plus aptes à travailler de manière professionnelle.

« Je ne sais pas si je peux encore assurer, il me faut peut-être repartir à zéro parce que je ne preste plus depuis 2016 », avoue Madame Jenny Bakwanamaha, ancienne journaliste de RTSW Butembo et de RTR-Beni.

Des directeurs des radios indignés

Plus ancienne dans la région de Beni (1994), la Radio Moto Oicha enregistre chaque année des abandons des jeunes femmes journalistes dans le rang de son personnel. Malgré sa transparence dans le traitement du personnel en termes de prime, ce média communautaire, aussi connu pour les opportunités de formation en journalisme auxquelles il accède, perd presque chaque année une ou deux filles, après avoir été formées.  Un investissement qui s’envole.

« Nous recrutons formellement et presque chaque année des jeunes femmes journalistes pour répondre à l’exigence légale de l’égalité de sexe dans le processus de recrutement. Mais, une fois recrutées puis formées, les femmes finissent par partir », s’indigne Pascal Muhindo Mapenzi, Directeur de la radio Moto Oicha.

Selon lui, certaines d’entre elles, après avoir abandonné, restent chez elles sans rien faire comme job.

« Très récemment en novembre 2021, nous avons assisté à la défection d’une jeune journaliste de Kyondo. Nous avons fait le nécessaire pour la placer dans les conditions plus ou moins acceptables, bien sûr dans les limites de nos moyens, mais subitement, elle est repartie. Et, aujourd’hui, nous apprenons qu’elle reste chez elle sans aucune occupation. Dites-moi, que peut-on encore faire ? », interroge-t-il.

Comme lui, Georges Kisando Sokomeka, ancien rédacteur en chef de la radio télé Liberté Butembo entre 2011 et 2014 a également connu le même problème dans sa rédaction.  Pour lui, les abandons réguliers ne permettent d’atteindre les objectifs.  Ils créent plutôt un vide dans la rédaction.

« Vous constaterez que plusieurs rédactions restent masculines, donc c’est un vide sur le plan égalité des genres, égalités des sexes et aussi, professionnalisme et leadership féminin dans les médias. Pourtant, nous savons tous que la voie féminine est tellement importante  parce qu’il a été démontré que, dans le cas de la présentation des journaux, celui présenté par une femme est plus beau que celui d’un homme », révèle –t-il.

Les risques de redevenir analphabète professionnel

Le Collectif des Femmes Journalistes, une organisation socioprofessionnelle, regrette que cette situation ne soit pas analysée en fond et que le phénomène se porte bien dans la région.

«Nous sommes engagés dans une lutte en vue du professionnalisme dans les médias, c’est l’un de nos chevaux de bataille. Nous militons aussi pour la formation pratique des femmes afin qu’elles soient compétitives autant que le sont les hommes. C’est une autre voie de lutter pour l’égalité des genres et des sexes dans le paysage médiatique. C’est donc un regret lorsque des femmes en qui des investissements formatifs ont été placés abandonnent. Il doit y avoir une autre raison qu’elles ne savent pas dire tout haut », analyse Madame Gloria Sivasingana, membre du CFJ.

Pour elle, la présence des femmes compétitives et compétentes dans les médias présente un certain nombre d’enjeux dont l’avancement de la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes, la valorisation de la femme sur le plan des capacités professionnelles.

Jackson SIVULYAMWENGE


Cet article a été produit dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RD. Congo » du Collectif des Femmes Journalistes, CFJ avec l’appui de l’UNESCO 

Partagez ce contenu de CFJ avec vos amis et connaissances
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •