Nord-Kivu : Comprendre la situation psychoaffective et professionnelle de l’unique femme journaliste active de Bapere

18 mars 2022 Par cfj 0

Madame Aminata Tilda Warangasi est actuellement Rédactrice en chef à la Radiotélévision Communautaire Lenda émettant depuis le centre minier de Mangurejipa. C’est dans le secteur de Bapere, à l’extrême ouest du territoire de Lubero. Elle est l’unique femme journaliste active au milieu d’une trentaine d’hommes répartis dans les six radios du groupement Manzia et du secteur de Bapere. Pour le fait d’être la seule femme journaliste active dans le milieu, Tilda Warangasi fait face à des défis d’ordre professionnel dès lors qu’elle n’a pas toutes les facilités d’évaluer son niveau de compétitivité par rapport à d’autres femmes. Sur le plan psychoaffectif, Tilda fait face à un isolement, facteur d’exposition au stress, à l’angoisse avec des conséquences inaperçues qui pourraient s’aggraver à la longue. Des astuces pratiques peuvent l’aider à y faire face.

Nous sommes dans le secteur de Bapere à l’ouest du territoire de Lubero, dans le Nord-Kivu. Ici, 6 radios ultra-locales sont opérationnelles avec une trentaine de journalistes. Aminata Tilda Warangasi est l’unique femme journaliste active dans le milieu. Elle se sent isolée.

« Je suis presque seule dans la contrée et cela me fait un peu  de mal. J’essaie de sensibiliser les autres femmes à embrasser la carrière. Je fais de tout mon mieux pour les convaincre, mais je n’y arrive pas », introduit Tilda Warangasi.

Cette situation est préoccupante pour Madame journaliste comme c’est une réalité à laquelle elle n’a pas été habituée en ses débuts de carrière.

« Me retrouver toute seule comme femme journaliste est une situation nouvelle que je n’ai pas expérimentée avant. C’est difficile de m’y adapter, je suis un peu comme contrainte et forcée à m’y adapter », indique-t-elle.

Depuis ses débuts de carrières, elle a toujours été avec d’autres femmes journalistes, ce qui crée une sorte d’équilibre psycho-professionnel.

« Partout où je suis passée avant, j‘ai toujours été avec des consœurs. Et cela crée un équilibre. J’ai commencé ma carrière en 2002 à la Radiotélévision Graben Butembo. J’étais avec quelques consœurs. Puis, en 2006, je suis allée à la Radio Liberté Butembo. Et en 2007, je suis venue à Mangurejipa où j’ai prestée comme directrice. Aujourd’hui, je reste journaliste, je suis Rédactrice en chef à la Radiotélévision Lenda à Mangurejipa. C’est ici que j’ai constaté que des femmes sont absentes dans le métier, c’est un déséquilibre », raconte Tilda Warangasi.

Elle se sent à l’aise tout de même lorsqu’elle présente son journal parlé en français et en lingala.

« Tout le monde qui m’écoute m’encourage et cela me fait énormément plaisir. Mais il y a aussi des gens qui me découragent de rester dans le milieu sous prétexte que ce n’est pas mon niveau et que je dois plutôt aller prester à Kinshasa ou Goma. Tout ce qui me fait mal est que je ne trouve personne à qui transférer les compétences, parmi les femmes et jeunes  filles d’ici…. », se plaint Madame la journaliste.

Le développement professionnel en jeu

Dans une certaine mesure, cet isolement met en danger le développement professionnel de la journaliste Aminata du fait qu’elle n’a pas la possibilité d’avoir des challengers avec qui mesurer sa compétitivité ou même partager des expériences entre femmes.

« C’est vraiment un problème très sérieux avec de nombreuses conséquences. Le développement professionnel est en danger. C’est bon qu’elle puisse se comparer aux hommes dans leur façon de travailler. Seule femme journaliste, elle est en perpétuelle compétition pour essayer de maintenir le cap et s’attirer la confiance des hommes et de la communauté. Nous sommes dans une société où les gens pensent que faire le journalisme, c’est une façon pour les femmes de fuir leurs tâches de femmes. Pour prouver le contraire, elle doit combattre, tous les jours… », analyse Augustin Kasigha, Coordonnateur du Collectif des Médias de l’Axe Mangurejipa (CO.M.A.M).

C’est aussi un challenge auquel Aminata est confrontée quant à la considération que la société peut se faire sur elle et surtout pour asa professionnalisation mais également le leadership qu’elle est obligée de créer dans le média.

« Les organisations féminines ont constaté que le fait que la dame soit la seule femme journaliste active dans le milieu ne l’aide pas à se dépasser. Elle peut en avoir la volonté mais l’environnement de travail peut l’emmener à se complaire de ce qu’elle fait, mais aussi l’empêcher de partager ses connaissances avec les personnes de son sexe. On dit toujours qu’on apprend d’autres choses lorsqu’on forme d’autres. C’est donc la dimension de ses capacités formatives pour d’autres femmes et filles qui sont menacées », ajoute Augustin Kashigha, qui du reste, salue le travail impeccable abattu par Aminata Tilda Warangasi qui est doyenne dans le métier, vu  les années déjà passées dans la pratique du journalisme.

La dimension psycho-clinique du challenge

La situation dans laquelle travaille chaque jour Dame Aminata peut être comprise en fonction d’une analyse psycho-clinique. Mwenge Mwanze Mwirawanvangi, psychologue clinicienne de la Dynamique des Femmes pour la Bonne Gouvernance, DYFEGOU, pense qu’il y a un danger qui peut ronger la journaliste à petit feu.

« Le psychisme humain est à comprendre selon les instances qui le constituent. Il y a le ça, le moi et le sur-moi. Le ça est constitué de la zone des pulsions et désirs refoulés. Le moi, c’est la zone de censure et le sur-moi est la zone des normes sociétales. Lorsque nous l’observons en tant que psychologue, nous concluons qu’elle est exposée, sans en être consciente, à de nombreuses conséquences. En tant que femme parmi de nombreux hommes peut être frustrée, elle peut avoir la peur, elle peut développer des insomnies parce que travaillant beaucoup. Elle peut développer la dépression, à la longue… », explique  dans la frustration Mwenge Mwanze Mwirawanvangi.

Elle ajoute que dans ces genres de situations, quelqu’un peut être malade sans le savoir, un malade qui s’ignore.

« On peut être malade sans être conscient de sa maladie. Il faut donc des experts qui doivent observer les personnes et les aider à sortir de cette situation », poursuit-t-elle.

Développer une résilience forte

Pour faire face à cette situation, les différentes parties prenantes ont des rôles à jouer afin d’amener Tilda Warangasi à développer une résilience forte.

« Ses collègues hommes ont une grande tâche. Ils doivent développer une attitude d’empathie et éviter de la dégrader. Ses chefs hiérarchiques devront la mettre dans des conditions e travail optimales, lui donner son petit rien à la fin du mois…La Communauté doit encourager la dame, lui exprimer une proximité et surtout l’aider à mobiliser les autres filles et femmes à la prendre pour idole et donc les pousser à être à la suite de Warangasi. Et elle personnellement, elle devra rester en contact avec d’autres femmes journalistes d’ailleurs notamment via l réseaux sociaux et autres contacts humains. Mais aussi, elle devra adhérer à des associations féminines et y combler ce vide psycho-affectif », suggère la psychologue Mwenge Mwanze.

A côté des aspects purement cliniques, le Collectif des Médias de l’Axe Mangurejipa procède par des sensibilisations dans des écoles afin de tenter d’attirer des filles intéressées à embrasser le journalisme.

« Nous sommes conscients des conséquences que cette situation peut provoquer non seulement sur le plan individuel de la journaliste, mais aussi sur l’attitude de la communauté. Nous sensibilisons aussi les parents à d’accorder à leurs filles, du moins pour celles qui affichent l’intérêt, l’autorisation et le temps nécessaire, de faire des stages dans les médias. Ainsi, nous serons en train de préparer une bonne pépinière », indique Augustin Kasigha, Coordonnateur du CO.M.A.M.

La contrée compte au total 6 radios. Il s’agit, pour le secteur de Manzia, de la Radio du Peuple pour son Éducation (RPE) émettant à partir de Njiapanda, la Radio Télé Hekima (RTH), émettant à partir de  Byambwe, la Radio Communautaire Mwenye (RCMP) émettant depuis Pombi-Masoya), la Radio Communautaire Kitsongeri de Katanga/Mukondo. Pour le secteur de Bapere, les deux fonctionnels dans la région sont la Radio Paon et la Radio Lenda, toutes deux émettant depuis la localité de Manguredjipa.


Cet article a été produit par les journalistes membres du REJIAFJ du territoire de Lubero dans le cadre du projet « pour la protection de femmes journalistes en RD. Congo » du collectif des femmes journalistes. 

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