Nord-Kivu : Difficile résilience « professionnelle » des femmes journalistes après des sanctions administratives
18 mars 2022Dans le paysage médiatique du grand Nord-Kivu, à l’Est de la RDC, des femmes journalistes s’adaptent difficilement à des textes règlementaires de leurs médias. Certaines considèrent que des fois, elles sont ciblées par des mesures démesurées, exagérées et vont jusqu’à parler de pressions administratives en leur endroit. Nous nous sommes intéressés aux impacts que ces « pressions administratives » produisent sur des femmes journalistes, sur le plan professionnel. Nous nous sommes entretenus avec cinq femmes journalistes dont trois œuvrant dans des radios des milieux urbains et deux dans les milieux ruraux. De manière globale, toutes se sentent découragées et stressées par des lettres de demande d’explication, des suspensions ou même des révocations et que cela ne leur permet pas du tout de bien développer et exploiter leur potentiel. Des responsables des médias réagissent que les femmes essaient de demander un traitement particulier alors que les mêmes mesures sont applicables aux agents sans distinction de sexes.
L’histoire de la journaliste Eliza Kalombo est émouvante. Journaliste à la Radio Communautaire La Voix de Malio, elle a écopé d’une suspension de ses prestations depuis bientôt une année et ne preste plus dans ce média.
« J’avais eu des problèmes sérieux avec sa hiérarchie pour une question financière. On m’a accusé d’avoir mal géré des fonds et j’ai été suspendue de mes fonctions de directrice de la radio. Jusque maintenant, j’ai jamais été rétablie dans mes fonctions et la conséquence en est que je ne preste plus », raconte-t-elle.
Francine (prénom d’emprunt), une vingtaine révolue, est une femme journaliste prestant dans l’une des radios de Butembo. Elle ne preste plus depuis bientôt cinq mois suite à une sanction dont elle a écopée et qui n’a jamais été levée.
« Je suis sortie de la ville pour des soins. J’avais dûment informé ma hiérarchie, mais à mon retour, on m’a reçu avec une lettre enfilée dans une enveloppe blanche. C’était une demande d’explication pour avoir prolongé la période de mise en disponibilité qu’on m’avait accordée… », raconte-t-elle.
Comme elle, Jeannette (nom d’emprunt), une autre femme journaliste dans l’un des médias de Butembo, a été suspendue de ses fonctions pour avoir traîné dans sa famille où elle participait aux cérémonies funèbres après le décès de l’un de ses oncles paternels.
« On m’a dit dans la lettre que j’ai dépassé le délai m’accordé pour les cérémonies de deuil après le décès de mon oncle. On m’avait juste accordé trois jours mais nous sommes allés enterrer en dehors de la ville, d’ailleurs le programme d’enterrement avait été changé. J’avais même notifié mon chef au sujet de ce changement… », se souvient-elle.
Une autre femme journaliste prestant dans une radio communautaire émettant en territoire de Lubero a été rayée de la grille de présentation de journaux pour avoir raté un journal de la mi-journée.
«Il avait plu abondamment et je ne savais pas être à la radio au moment du journal. J’ai raté le journal et le lendemain, on m’a ravis les éditions. Voici trois moi, j’ai plus jamais présenté de journal », raconte Denise (prénom d’emprunt).
Entretemps, dans les camps de responsables des médias, on rejette cette accusation. Quatre directeurs de radios interrogés quant à ce analysent que des femmes journalistes ont toujours cherché qu’un régime spécial leur soit appliqué.
«Je ne vois pas un directeur de radio avoir deux régimes différents, l’un s’appliquant sur les femmes journalistes et un autre sur les hommes. Les radios sont gérées sur base des textes, parmi lesquels le règlement d’ordre intérieur. C’est le même qui s’applique à tous, sans distinction de sexes », réagi un directeur d’une radio de Butembo.
Une responsable d’une rédaction dans une radio de Beni reproche à certaines femmes journalistes le goût de la facilité.
« Ce n’est pas que c’est nous toutes qui sommes dans cette situation. Je sais que certaines d’entre nous ont toujours aimé d’être traitées différemment des hommes. Et il arrive qu’on leur applique les textes et le mal en est qu’elles pensent que c’est pour leur faire de la pression. Mais aussi, d’autres chefs en profitent pour appliquer des sanctions disproportionnées en l’endroit des femmes », commente Edwige Ruhanga, Rédactrice en chef de la Radio Moto Oicha émettant depuis Oicha, dans le territoire de Beni.
Quand des capacités se consument
Eliza Kalombo a perdu sa tonalité dans la présentation de journaux parlés, tellement qu’une année après, elle n’en a plus jamais présenté.
« Je ne me sens pas autant forte qu’avant en termes de présentation de journaux. J’avais déjà l’aisance au micro, j’avais déjà un bon rythme et un bon débit dans la présentation de journaux parlés. Mais actuellement, je ne sais pas si je peux y arriver aussi aisément… », explique-t-elle.
C’est le même cas pour Jeannette qui avoue avoir perdu certains reflexes journalistes. Mais aussi, sa plume a disparu.
« Je commençais à bien écrire et on me complimentait. Mais depuis que je ne preste plus, je sens que j’ai perdu certaines compétences », regrette-t-elle.
D’autres encore vont jusqu’à se décourager et perdre l’élan.
« J’allais chaque jour à la radio, même pour des éditions matinales. Mais depuis qu’on m’avait suspendue, j’avais fait deux mois sans prester. Je suis revenue et je me suis sentie comme une nouvelle et je ne sais pas m’adapter. Il y a une sorte de décalage », révèle une journaliste prestant dans une radio de Butembo.
Développer une résilience
Mwenge Mwanze Mwirawanvangi, psychologue clinicienne pense que des femmes qui se sentent « menacées » par des mesures et sanctions administratives devraient s’adapter au contexte global de leurs entreprises.
« Quand on vous engage dans une entreprise, on vous lit les textes. Lorsque vous signez le contrat, du moins pour celles qui en signent, ou lors que vous validez le contrat verbal, vous êtes tenue de respecter les clauses. A ce moment-là, il n’y a pas de problème. Mais si ce sont des sanctions ciblées, exagérées, démesurées, là, il y a un autre problème. A ce moment, il y a des procédures à prendre, comme faire des recours… », explique la psycholgue.
Cette dernière ajoute que les femmes journalistes doivent cesser d’être elles-mêmes à la base de leur déconsidération, car cela a des impacts énormes sur elles-mêmes ainsi que sur la carrière d’autres femmes journalistes.
« Psychologiquement, les femmes doivent comprendre qu’il ne faut toujours pas se considérer comme différentes des hommes, sur le plan professionnel. Lorsqu’elles cherchent à bénéficier d’un traitement spécial, elles créent dans l’esprit des patrons l’idée qu’elles ne s’adaptent pas aux mêmes conditions que les hommes. Elles doivent développer la résilience et l’adaptation mais surtout éviter de tomber dans des fautes professionnelles car c’est toujours là que ça commence », fait-elle remarquer.
Cet article a été produit dans le cadre du projet pour la protection des femmes journalistes en RD. Congo du Collectif des femmes journalistes, CFJ avec l’appui de l’UNESCO