Beni : des femmes journalistes « laissées-pour-compte » dans la couverture de certains évènements.

5 mars 2022 Par cfj 0

Dans plusieurs médias du grand Nord-Kivu, à l’Est de la RDC, des femmes ne sont pas souvent déployées dans de grands terrains afin de réaliser des reportages de grande envergure. Certaines sont affectées pour des faits divers ou juste des informations auprès des sources officielles. Ce phénomène est dû entre autres aux préjugés remettant en doute les capacités techniques de certaines femmes journalistes, pourtant la plupart expriment le désir d’apprendre. Ce défi présente des conséquences sur l’égalité des chances, l’égalité et l’équité-genre dans le métier de journaliste. Les victimes de cette forme de violence basée sur le genre sont confrontées à la routine et au manque de développement des capacités professionnelles dans l’exploitation des genres journalistiques majeurs.

Sur la vingtaine de femmes journalistes que comptent les 18 médias de Beni, pas plus de cinq d’entre elles, soit environ 17%, sont déployées sur le terrain en vue de réaliser de grands reportages, grandes interviews ou des enquêtes et autres genres journalistiques majeurs. La plupart sont désignées quotidiennement pour des tâches de routine telles que le monitoring (jargon journalistique pour désigner l’’écoute radio), la récupération des dépêches auprès des services de communication au sein des services de l’état etc. Certaines femmes conscientes  de l’impact négatif de cette façon de faire dénoncent ce qu’elles qualifient  de d’approche discriminatoire.

Charmante Syahava est journaliste à la Radio Oasis Congo émettant à Beni. Au nom de ses consœurs victimes de cette situation, elle dénonce ce qu’elle qualifie de pratiques discriminatoires qui ne permettent pas à la plupart de femmes journalistes de se professionnaliser.

« Les femmes journalistes sont souvent victimes de plusieurs sortes de discriminations dans nos médias. Lorsqu’il faut déployer les gens sur le terrain, on affecte d’abord des hommes pour des terrains stratégiques comme les descentes sur le terrain avec l’armée, l’arrivée des officiels, etc. Si cela se passe déjà au sein de nos propres salles de rédaction, quelle considération aura de nous la communauté ? », Interroge Charmante Syahava.

Une autre journaliste d’une radio de Beni qui a préféré rester anonyme dénonce le fait que malgré la volonté et la disponibilité exprimées de réaliser certains grands reportages de terrain, les rédacteurs en chef ne valident pas leurs propositions lors des conseils de rédaction.

« Personnellement, j’ai toujours aimé faire le terrain pour me démarquer des autres et défendre l’image des femmes journalistes qui sont pour la plupart des cas accusées de ne pas faire le terrain. Néanmoins, il se pose un petit problème par rapport aux questions sécuritaires pour lesquelles nous femmes, et là je parle de moi, nous ne sommes pas sélectionnées pour la couverture. C’est rare de voir dans une équipe de reporters qui vont à Kididiwe, dans les fins fonds de la brousse, une femme…Peut-être on nous prend pour des incapables et dans ce cas, c’est déplorable… », se plaint-elle.

 Des doutes sur la compétitivité

Benjamin Sivanzire, Rédacteur en chef à la Radio des Forces Armées de la République Démocratique du Congo, pense que dans certains cas, des femmes journalistes ne sont pas vraiment compétentes pour ça.

« Chez nous par exemple, une seule femme est capable de faire de grandes choses. Car, déjà, elle sait manipuler les matériels convenablement, à l’exemple de la caméra. Deuxièmement, elle ne se laisse pas dominée par la peur (…) Il existe des médias locaux où une femme avec ces capacités et compétences n’existe pas », explique-t-il.

Un autre rédacteur en chef d’une radio de Beni explique qu’il arrive que des femmes journalistes envoyées en reportage reviennent avec de mauvais éléments ou des éléments incomplets.

« Vous pouvez décider d’envoyer une femme en reportage et qu’elle vous revienne avec des éléments incomplets ou même sans les éléments que vous avez convenu dans le conseil de rédaction. Si cela arrive trois ou quatre fois, c’est comme cela que vous prenez des dispositions », essaie-t-il de défendre.

Le chercheur en communication Esaie Katavu indique que sur le plan académique,  le cours de Méthodologie de l’information enseigné à l’université permet à tout journaliste (filles et garçons) d’être capable de récolter, traiter et diffuser les informations.

« Tout le monde peut couvrir tout type d’événement. Par exemple, la couverture d’un événement sécuritaire dépend de la capacité de tout est chacun. Il y en a qui sont sensibles aux faits de guerre. Il y a des considérations selon lesquelles la peur est une attitude qui anime naturellement la femme et certaines femmes journalistes confirment cela. Couvrir un événement, c’est avant tout une question de motivation et de prédisposition physique et psychologique», explique le chercheur.

Pour sa part, Madame Francine Kitenge, responsable du service de l’emploi et prévoyance sociale en ville de Beni, soutient que le code du travail ne prévoit aucune disposition sur la catégorisation de  travail entre l’homme et la femme.

« Les femmes sont capables d’exécuter tout type des travaux sans aucune distinction. Sauf en cas de grossesse, à un certain niveau, la femme peut être incapable de réaliser certaines tâches. Mais, en vertu de l’égalité des chances dans les médias, l’homme et la femme peuvent concourir à toute sorte des travaux. Je ne vois pas de raisons valables qui puissent écarter la femme à couvrir tel ou tel événement seulement parce qu’elle est femme…ce serait une discrimination sexiste », commente-t-elle.

Des préjugés sexo-spécifiques

Madame Ruth Sabuni, chef de la Division de Genre dans la ville de Beni déplore que les femmes et pour ce cas précis les femmes journalistes, soient sujettes de la discrimination dans leur univers de travail.

« Pour la simple raison d’être femmes, certaines journalistes se voient refuser la couverture de certains événements, alors qu’elles ont des capacités nécessaires. Cela constitue une forme de violence basée sur le genre. Pour y faire face, les femmes journalistes doivent développer le dynamisme. Mais aussi, pour des cas concrets, la dénonciation est une autre arme… », explique-t-elle.

Une autre explication de ce phénomène est à trouver dans le contexte sociologique. Le Chef des Travaux Salomon Mutsumbira, chercheur en sciences sociales, explique que de nature, la société considère, souvent sans raison, la femme comme un être peureux.

« Cette considération joue sur sa propre estime de soi et ne la prédispose pas d’aller couvrir des faits délicats, comme les opérations militaires. Mais aussi, il y a la problématique de l’autorisation maritale. Si la femme journaliste est mariée, sa participation à la couverture d’une activité qui peut l’exposer peut ou ne pas lui être autorisée », mentionne le chercheur en sciences sociales.

Il conseille néanmoins aux femmes qui sont délibérément discriminées  de dénoncer pour éviter qu’à la longue, cela crée un sentiment de démotivation et qu’elles ne développent pas leur potentiel professionnel.

Les organisations de défense des droits des femmes et des jeunes filles voient aussi dans cette pratique une violation basée sur les préjugés. Esperance Kazi, Coordonnatrice de l’organisation OGOL (One Girl One Leader) de Beni, explique que des femmes en général sont discriminées en milieu de travail juste pour des préjugés sur leurs compétences.

« J’ai toujours constaté qu’en milieu de travail,  on nous discrimine, nous femmes, puisqu’on pense que nous ne sommes autant compétentes, autant capables que les hommes. En fait, il y a des hommes, d’ailleurs la plupart, qui ne veulent pas voir une femme évoluer comme eux et qui, par conséquent, sont prêts à tout pour l’empêcher. Ils craignent que quand les femmes seront en mesure de tout faire, eux n’auront plus le dessus sur elles », analyse Espérance Kazi.

Elle reconnaît toutefois que plusieurs femmes ont le goût de la facilité et se livrent à des antivaleurs telles que la sexualité en milieu professionnel plutôt que de travailler dur et développer des compétences solides et devenir ainsi compétitives.

Beatrice Asimoni, 

Régine Okando et

Anderson Shada Djuma 


Cet article a été produit dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RD. Congo » du collectif des femmes journalistes avec l’appui de l’UNESCO. 

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