Pas de mesures spéciales protégeant les femmes journalistes pendant l’Etat de siège au Nord-Kivu

5 mars 2022 Par cfj 0

L’état de siège a été instauré sur l’ensemble des provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri voisin depuis le 6 mai 2021 pour mettre fin à l’hémorragie sécuritaire qui caractérise la région depuis plusieurs années déjà. Cette mesure spéciale ayant des restrictions de plusieurs ordres et touchant tous les secteurs de la vie (sociale, politique, économique, culturelle, etc.) a aussi impacté sur le métier de journaliste. Si les heures de couvre-feu constituent en elles un frein à la liberté de la presse, l’interdiction de diffuser des informations ayant trait à certains aspects de la vie, aux forces de l’ordre et aux questions politiques constitue une autre problématique qui impacte la qualité et la diversité de l’information dans les deux provinces. Les femmes journalistes ne sont pas épargnées par les séquelles de cet Etat de siège sur le plan professionnel. Des astuces existent pour surmonter ces contraintes professionnelles.

Le nombre de cas d’atteinte à leur sécurité physique, psychologique a augmenté pendant cette période, particulièrement dans la ville de Beni. Le Réseau des Journalistes d’Investigation autour des Agressions des Femmes Journalistes (REJIAFJ) avait même mené un plaidoyer auprès de différentes parties prenantes dont le Maire de ville de Beni.

En novembre 2021,  l’organisation Journaliste en danger (JED) a publié un rapport sur l’état de la liberté de la presse et d’expression en RD Congo. Ce rapport intitulé « Mauvais temps pour la presse en RDC…» a recensé au moins 110 cas d’attaques diverses contre les journalistes et les médias enregistrées au cours  de l’année 2021. Selon ce rapport de JED, le tableau sombre peint est lié à différents facteurs dont la crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19, la crise politique mais aussi et surtout la crise sécuritaire marquée par l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et Ituri.

Selon ce même rapport, plus de la moitié des cas d’atteintes à la liberté de la presse, soit 51%, touchent à la sécurité physique des journalistes. Dans le lot des 110 cas d’atteintes diverses à la liberté de la presse, répertoriés sur l’ensemble du territoire national congolais, 48 cas ont été recensés à l’Est du pays dont 25 cas dans les deux provinces sous état de siège, à savoir le Nord-Kivu et l’Ituri. De ces chiffres, un bon nombre de victimes est constitué des femmes journalistes, précisément celles des territoires de Beni et Lubero ainsi que des villes de Butembo et Beni.

De même, une dizaine des femmes journalistes ont déjà abandonné la profession suite à l’insécurité dans le territoire de Beni, selon le rapport du REJIAF du mois de mars 2021.

Lire cet article aussi:

(RDC : A cause de la persistance de l’insécurité, le métier de journalisme se déféminise à petit feu dans le territoire de Beni https://www.cfj-rdc.org/2021/09/28/rdc-beni-femme-journaliste-securite-protection-defense-liberte-de-lapresse-cfj/)

 

Madame Wanzire Nyavyethe Shukurani, journaliste à la Radio Evangélique de Butembo à Oicha, REBO, mentionne qu’à l’arrivée  de l’État de Siège, elle s’attendait à la pacification de la région dans un bref délai.

« Je croyais qu’en instaurant cette mesure spéciale, tous les zones seraient maintenant sécurisées et donc accessibles. Je pensais qu’en tant que journaliste, j’allais désormais penser des sujets qui devraient m’amener partout dans les zones de Beni. Et à ma grande surprise, les choses empirent et des femmes journalistes sont agressées aussi. Le cas de Promesse Kavira de la Voix de l’UOS est un exemple qui n’est pas loin… », fait-elle remarquer.

L’Etat de siège n’a pas protégé les journalistes

SEMERITH KAMURASI Grâce, une autre journaliste de la Radio Tangazeni Kristu d’Oicha, se désole que l’Etat de siège n’ait pas pu garantir la sécurité des journalistes ni facilité leur travail.

« L’Etat de siège est arrivé avec ses ordres liberticides. On nous a interdits par exemple d’exploiter les alertes en cas de mouvement suspects de l’ennemi. Personnellement comme femme journaliste, je suis limitée dans mes terrains et même dans la présentation des éditions de journal à cause du couvre-feu n cours… », regrette-t-elle.

Cet impact est significatif et touche globalement le travail  journalistes  hommes et femmes exerçant dans cette zone. Maître Justin Matete, Coordonnateur de « Forum de paix Beni » (FPB), une organisation non-gouvernementale défendant les droits humains, analyse que les restrictions de l’Etat de siège ne collent pas avec la liberté de la presse.

« …Dans le sens négatif, il y a ces restrictions de certaines libertés. Parce que nous sommes dans un Etat de siège, un état spécial, ça veut dire que certains droits sont appelés à prendre congé. Et cela représente un gros impact négatif pour autant que cette liberté dont pouvaient bénéficier les journalistes en général et les femmes journalistes en particulier s’estompe. Il faudra que chaque journaliste adapte son travail aux contextes de l’Etat de siège… », explique le défenseur des drots de l’homme.

Sur le plan psychologique, cet arsenal de restrictions touche de manière particulière la femme.

« Il y a des obstacles aux quelles les femmes se butent et qui laissent des traces à long terme sur le plan psychologique. Naturellement, la femme se sent marginalisée et dominée par une peur devant chaque obstacle. Ce qui accentue cette vulnérabilité des femmes, c’est le fait que, même parmi les acteurs de l’Etat de siège ici chez nous, il y’a pas de femmes. Si on pouvait avoir des femmes au sein de l’équipe des animateurs de l’Etat de siège, cela pourrait être une manière encourageante mais cette absence est à la base de cette défection mentale et psychologique chez la femme », éclaire le psychologue Jean-Pierre Mbusa Ndungo.

Prévenir et amortir l’impact

Les textes instaurant l’Etat de siège sont à respecter. C’est la meilleure façon d’éviter des escarmouches avec les services de l’Etat. Les journalistes devraient garder une attitude d’une prudente élevée et garder en l’esprit qu’ils doivent demeurer regardants pour ne pas tomber dans une infraction.

Stanley Muhindo, journaliste à la Radio Moto Oïcha argumente que face à cette situation, la femme journaliste doit fournir l’effort de se sentir dans sa peau.

« Elle ne doit pas prendre sa carrière à la légère, et elle doit agir comme une personne qui réfléchit, elle doit se forcer de maitriser et pratiquer les règles qui régissent le métier. Elle peut aussi se laisser protéger par ses confrères, elle doit s’abstenir de conjuguer avec des personnes inconnues… », Orient-t-il.

Josué Bashizi Kalalize, juriste, explique que pendant cette période spéciale, les journalistes et, particulièrement les femmes journalistes, doivent respecter strictement l’éthique et la déontologie du journaliste congolais.

« …car sans cela, ils courent le risque de s’attirer toutes sortes de critiques et même des poursuites judiciaires ou des interpellations. Donc toute production de la femme journaliste doit se conformer aux lois du pays et particulièrement les textes régissant l’Etat de siège », conseille le juriste Josué Bashizi Kalalize.

Ndovya Isabo Kibahe est aussi psychologue de formation. Il conseille qu’en cette période de l’Etat de siège, les femmes journalistes doivent être  fortes psychologiquement et résilientes pour surmonter les difficultés stressantes dues aux problèmes d’intimidations qui ont souvent caractérisé les autorités militaires.

Edwige Ruhanga et

Fred Mastaki 


Cet article a été produit dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RD. Congo » du collectif des femmes journalistes avec l’appui de l’UNESCO.  

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