RDC : quand époux et employeurs créent un environnement professionnel non favorable aux femmes journalises en territoire de Beni
26 novembre 2021
Dans le territoire de Beni, autant dans plusieurs autres zones de la République Démocratique du Congo, des femmes journalistes sont dans l’obligation d’opérer le choix entre les charges conjugales et le travail. Si dans certaines circonstances, c’est le conjoint qui oblige son épouse à abandonner le métier, dans d’autres contextes, des responsables des entreprises médiatiques placent leurs employées femmes dans des conditions les obligeant à cesser de travailler. Depuis plusieurs années, le phénomène semble passer inaperçu et on ne se rend pas compte que cela se fait en violation de différents instruments juridiques protégeant la femme. Il est pourtant possible d’y remédier et mettre ainsi fin à cette forme de violence basée sur le genre en milieu professionnel et en milieu conjugal.
Mi-novembre 2021, le territoire de Beni compte 29 radios et le personnel féminin qui y travaille est évalué à 15 femmes journalistes, soit pas plus de 8% du personnel journaliste de la région, si on estime que chaque radio a 7 journalistes. Curieusement, le peu de femmes journalistes qui tiennent le coup malgré les challenges d’ordre sécuritaire, économique, managériale, etc. sont confrontées à une autre difficulté aux facettes sociologique et professionnelle. Il y en a parmi elles qui, en changeant de statut matrimonial, se trouvent dans un environnement où elles doivent abandonner le métier.
Eveline Kaniki, ancienne journaliste de la Radio Muungano d’Oicha, est mariée depuis près de deux ans déjà. Avant son mariage, elle a été journaliste-reporter pour le compte de cette entreprise émettant depuis le chef-lieu du territoire de Beni. Aujourd’hui mère de deux enfants, elle a abandonné le métier de journalisme. Elle regrette qu’aujourd’hui, à cause des responsabilités conjugales, elle n’exerce plus son métier pour lequel elle a toujours exprimé une passion non mensurable.
« J’ai arrêté avec le journalisme quelques mois seulement après mon mariage. Je devais m’occuper de mon foyer et des tâches ménagères. Quand il était difficile pour moi de combiner les deux, j’ai dû rester à la maison et m’occuper du foyer et de nos enfants…», relate Eveline.
Jismine Kitambala, est une autre ancienne journaliste. Avant qu’elle s’engage dans la vie conjugale, elle prestait comme journaliste à la Radio Communautaire Bashu, dans le même territoire de Beni. Jismine avait de la passion envers le métier de journalisme « pour servir la communauté ». Ce rêve qui devenait déjà une réalité a changé le jour où elle a changé de statut matrimonial. Jismine a été obligée de changer de milieu pour rejoindre son mari là où il vivait.
« Jusqu’aujourd’hui, je n’ai jamais obtenu une autorisation expresse de la part de mon époux pour intégrer une radio locale ici où je vis actuellement. Je dois m’occuper des tâches ménagères… », explique-t-elle.
Grace Sivirihauma, ancienne journaliste de la Radio Pambazuko de Mangina (RTP), Gebida Tsughusu, ancienne journaliste de Rwenzori Voice Radio de Mutwanga (RVR) dans le territoire de Beni ont également abandonné le métier dans les circonstances similaires.
Pas seulement dans le territoire de Beni, mais même en milieux urbains, la situation est pareille, bien que pas avec la même acuité.
Madame Bernadette Mbamulyakoki, Chef de la Division de Genre, Famille et Enfant dans le territoire de Beni regrette que des cas pareils similaires soient fréquents dans la région et qu’ils ne touchent pas seulement les femmes journalistes mais aussi des femmes d’autres secteurs professionnels.
« La plupart des femmes sont contraintes d’arrêter le travail pour ne s’occuper que des travaux ménagers. Nous documentons plusieurs cas, mais c’est dommage que des gens semblent normaliser le phénomène et la plupart des femmes disent obéir par respect à la décision du mari et pour sauvegarder le foyer», déplore Madame le Chef de Division Genre, ajoutant que dans plusieurs entreprises de la région, des responsables vont jusqu’à licencier des femmes simplement parce qu’elles sont devenues mariées ou simplement parce qu’elles sont devenues enceintes.
Une violation des droits de la femme
S’appuyant sur le code de travail congolais, plusieurs défenseurs des droits de l’homme expliquent que rien ne soutien la démarche des époux qui mettent leurs épouses femmes journalistes dans des conditions les obligeant à abandonner le métier, ni celle des responsables d’entreprises licenciant les femmes journalistes une fois mariées.
« Aucun texte de loi n’autorise à un employeur de mettre fin au service d’une femme au motif qu’elle est devenue mariée. Il s’agit-là d’une violation pure et simple des droits de la femme dont le statut de marié ne doit constituer aucune entrave pour la poursuite de son service au sein d’une entreprise», précise Josué Bashizi, Président de la Corporation des Médias du territoire de Beni.
Pour Gentille Mugeni, experte genre au sein du Collectif des Femmes Journalistes, c’est une violence basée sur le genre lorsque pour certaines femmes journalistes mariées et d’autres femmes travailleuses, le conjoint décide du sort de sa femme pour le restant de leur vie. « C’est aberrant pour les hommes, qui même s’ils sont les chefs du ménage, se donnent le droit de décider de tout. C’est aussi par ignorance que, pour entreprendre quoi que ce soit, les femmes pensent qu’elles doivent absolument obtenir la permission de leurs époux », soutient cette experte en genre.
Par ailleurs, dans plusieurs entreprises de presse, des managers se créent des stéréotypes et des stigmates au sujet des femmes mariées et vont jusqu’à remettre en question la qualité du travail des femmes journalistes mariées ainsi que leur efficacité dans l’accomplissement des tâches leur attribuées, notamment la récolte, le traitement et la diffusion des informations.
En effet, la loi n° 15/013 du 1er août 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité en République Démocratique du Congo reconnait, à ses articles 20 et 21, à la femme le droit au travail comme toute autre personne afin qu’elle soit autonome. Selon l’esprit de cette loi, la femme n’a pas besoin de « l’autorisation » d’une tierce personne pour travailler. Le même texte précise que le mariage ne devrait pas constitué un facteur pour entraver l’émergence de la femme. Toutefois, elle peut « informer » son conjoint sans être entraver par celui-ci.
Dans la même logique, le code de travail congolais réprime cette violation des droits de la femme et reconnaît à la femme mariée le droit de continuer ses prestations dans une entreprise tant publique que privée. Si elle est enceinte, le code prévoit même un congé de maternité de 14 semaines, c’est-à-dire six semaines avant l’accouchement et huit autres semaines après.
« Les responsables d’entreprises qui se trouvent dans cette situation ne doivent que se conformer à l’esprit de la loi en la matière pour éviter d’être poursuivis en justice un jour », conseille Josué Bashizi
A la fois victimes et complices ?
Maître Fechal Katavali, défenseur judiciaire près le tribunal de grande instance de Beni, pense qu’il y a lieu de s’interroger sur l’importance de la loi si celles qu’elle est sensée protéger l’ignorent.
« Plusieurs textes garantissent la protection et la liberté à la femme. Il s’agit entre autre de la loi sur la parité, le code du travail, le code de la famille, le statut des agents de carrière des services publics de l’état, etc. Mais il s’est avéré que plusieurs personnes protégées par ces instruments juridiques n’en soient pas suffisamment informées », révèle-t-il.
Dans plusieurs cas, les femmes victimes de cette restriction ne manifestent aucune volonté de faire respecter leurs droits, ni les réclamer de la part des parties prenantes dès lors qu’elles ignorent délibérément les textes de loi qui, pourtant, les protègent et ce, au bénéfice de préserver le foyer.
« Le mariage parait la chose qui compte le plus pour les jeunes filles de la région. Et la plupart se laissent violentées alors qu’elles peuvent être orientées vers les structures d’accompagnement juridique ou ailleurs où elles peuvent trouver la solution », regrette Madame Bernadette, responsable du service Genre dans le territoire de Beni.
Madame Jacqui Kinahwa, Coordonnatrice de l’association féminine dénommée « Femmes du Développement Intégral, Paix et Santé, (FDIPS), révèle que ce phénomène touche presque la moitié de toutes les femmes dans tous les secteurs de la vie dans le territoire de Beni.
De la précarité à l’abandon…
La plupart de médias du territoire de Beni, voire la plupart de médias de la République Démocratique du Congo, traversent une précarité financière indescriptible. La conséquence en est le mauvais traitement des agents : Pas de contrat de travail, pas de salaire, aucune assurance,… Bref, les professionnels des medias de cette région vivent dans une insécurité économique. Dans ces conditions, il n’est pas facile de tenir le coup.
« Dans notre région, Il faut toujours combiner le journalisme avec d’autres activités, sinon il est difficile de nouer les deux bouts du mois. Alors imaginez-vous la situation d’une femme mariée de qui l’époux attend quelque chose. Quelques fois, les maris paient même le transport aller-retour de chaque jour pour que son épouse afin de se rendre au lieu de service», commente un confrère journaliste de Beni.
Pour pallier ce problème, Fechal Katavali, défenseur judiciaire, conseille aux promoteurs des médias de tenir compte de ces préalables avant l’implantation d’un média.
« Cela leur permettra de garantir une sécurité sociale à leur personnel… », Poursuit-t-il.
Cet article a été réalisé par les journalistes membres du REJIAFJ noyau du territoire de Beni notamment,
Edwige Ruhanga,
Fred Mastaki et
Jérémie Kyaswekera
dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RD.Congo » du collectif des femmes journalistes appuyé par l’UNESCO.