Grand Nord-Kivu : les salles de rédaction, un autre théâtre de harcèlement sexuel en l’endroit des femmes journalistes

3 mars 2022 Par cfj 0

Les salles de rédaction, milieu de travail quotidien des femmes journalistes, constitue aussi un terrain propice pour le harcèlement sexuel dont elles sont souvent victimes. Moins de cinq pourcent de victimes travaillant dans le grand Nord-Kivu, à l’Est de la RDC, dénoncent alors que la plupart taisent cette antivaleur pour des raisons variées. Le mal se porte bien dans plusieurs salles de rédaction autant des radios que des télévisions et médias en ligne. La conséquence majeure est le stress et une sorte de « qui vive » dans lesquels les victimes sont plongées et qui impacte très négativement leur développement professionnel.  La prise de conscience par les victimes et leurs chefs hiérarchiques se montre comme un préalable à toute forme de lutte que peuvent mener des organisations de défense des droits de la femme.

La partie nord de la province du Nord-kivu compte environ 500 professionnels journalistes dont plus de 90 femmes journalistes, selon le rapport du REJIAFJ du mois de Novembre 2021. Cette partie est constituée des villes de Beni et Butembo ainsi que les territoires de Beni et de Lubero.

15 des 20 femmes interrogées par les journalistes membres du REJIAFJ ont déclaré avoir déjà été confrontées à des problèmes de harcèlement dont 10 dans leurs entreprises de presse et 5 sur le terrain lors de la récolte d’information.

Pour celles ayant subi ces actes dans les maisons de presse, la minorité raconte que cela a commencé dès le processus de leur recrutement. Si certaines ont cité les responsables des médias, d’autres accusent des rédacteurs en chef ou même des secrétaires des rédactions.

Ils commettent ces actes en passant que c’est normal et ne s’aperçoivent des conséquences sur la vie professionnelle des femmes.

A Butembo, une femme journaliste de près de 20 ans raconte que l’un de ses chefs hiérarchiques la harcèle. Il lui promet protection ainsi que des faveurs salariales.

« Je suis arrivée à la radio où je preste depuis 2017. Je venais d’une autre radio et je suis venue appuyer mon desk dans lequel je suis affectée. Mais je commençais à être traitée différemment des autres. S’il y avait des retenues sur salaire, moi, j’en étais épargnée. Puis un jour mon supérieur m’a demandé si j’avais constaté qu’il me protégeait. J’ai demandé pourquoi cela, il a répondu que j’étais spéciale », explique cette journaliste.

Puis son histoire s’est poursuivie jusqu’à ce que son chef lui ait demandé des faveux sexuelles en contrepartie de tout ce qu’il faisait pour elle dont, aussi, la promotion.

Une autre femme journaliste d’une radio de Beni raconte que le responsable de la Radio où elle preste la dérange depuis bien des temps et affiche des comportements et gestes tendancieux.

« Lorsque je suis arrivée à la radio, mon chef déployait tout le monde sur le terrain et disait que lui et moi allions rester à la permanence en train d’attendre des alertes. Alors, un jour, il a trouvé que nous étions restés seuls à la radio. Le courant a coupé et la salle de rédaction était toute noire. Il a commencé à faire des attouchements. Il commençait à me promettre une promotion et une garantie que moi je n’aurai jamais d’arriérés si j’acceptais sa demande. Dieu merci, la porte n’était pas verrouillée, j’ai réussi à m’enfouir avant qu’il n’aille loin… », se souvient-elle.

Cette femme journaliste raconte que depuis ce jour là, les liens professionnels ne sont pas à bon fixe et qu’elle paie cher pour son refus de se faire harceler par son chef.

« Des fois, même si mon papier (jargon journalistique signifiant « information traitée » ou « page ») est bien écrit, il barre tout et me dénigre montrant que je n’avance pas dans l’écriture journalistique. Il ne me déploie pas dans des terrains stratégiques comme l’accueil des officiels ou dans des publi-reportages. Et à chaque fois, il me rappelle que je connais sa demande et qu’il changera sa façon de me traiter le jour où je m’offrirai à lui », regrette-t-elle, si triste.

Il n’y a pas que des chefs de rédaction ou secrétaires de rédaction ou encore des chefs de desks qui tombent dans cette antivaleur, qui du reste, est une infraction des violences sexuelles.  Des responsables des entreprises de presse, des promoteurs des médias, qui peuvent être quelques fois des hommes de Dieu, s’illustrent dans le harcèlement sexuel en l’endroit des femmes journalistes profitant de leur position ou pouvoir hiérarchique pour exiger des faveurs sexuelles auprès de leurs agents.

Difficile de témoigner, difficile de dénoncer

 

Celles qui en ont déjà été victimes racontent que parfois elles sont harcelés à la fois par deux ou trois chefs hiérarchiques, chacun à son niveau. De 15 femmes journalistes qui affirment avoir déjà été victimes de harcèlement sexuel, 5 ont déjà affronté à la fois 2 ou 3 de leurs chefs hiérarchiques. Nombreuses parmi elles ont préféré ne pas témoigner nommément.

Précieuse (prénom d’emprunt), quant à elle, n’a trouvé aucun mal à partager son histoire. Cette journaliste de Beni révèle avoir subi plusieurs fois le harcèlement sexuel en l’intérieur de son entreprise de presse par son Rédacteur en chef. Cela fait que la dénonciation devient difficile.

« Comment vais-je informer mon supérieur pendant que lui-même me fait des avances ? Ce serait se présenter comme une proie facile à croquer… », S’inquiète cette femme journaliste.

Une autre contrainte dans la dénonciation consiste dans le fait que le problème n’est souvent pas pris au sérieux par des personnes auprès de qui elles rapportent les faits.

« …j’avais rapporté la situation auprès de ma hiérarchie. Mais rien n’a été entrepris pour tant soit peu m’aider à surmonter ce défi.  C’est un sujet qu’on minimise car lorsqu’on essaie d’en parler aux autres, on nous prend pour des enfants alors que celle qui est déjà passée par cette difficulté sait comment cela a des conséquences sur nous et sur notre vie professionnelle…», se plaint cette femme journaliste.

Le développement professionnel des femmes en péril

Il est vrai  que la question de harcèlement ne touche pas que les femmes journalistes. C’est un phénomène qui s’observe aussi chez les autres femmes qui travaillent dans d’autres domaines socioprofessionnels.  Le chef des travaux Nickson Kivalya, sociologue et enseignant au sein de l’Université Officielle de Semuliki, regrette que le harcèlement sexuel a déjà pris de l’ampleur jusqu’à devenir un « phénomène normal » dans la société, avec des effets négatifs sur le développement professionnel des victimes.

« Cela détruit le mental des femmes, elles ne sont plus capables d’exploiter tout leur potentiel et mettre en profit leurs compétences en totalité. Cela provoque même chez les femmes des comportements déviants surtout si les harceleurs sont dans le milieu de travail. Les femmes harcelées ont peur d’aborder certaines personnes suite aux actes qu’elles auraient subis », explique le sociologue.

Ce phénomène ne passe sous les yeux des activistes des droits de la femme. Denise Watevwa est une défenseure des droits de la femme de la ville de Beni. Elle reconnait que le harcèlement sexuel est fréquent dans le milieu du travail et surtout entre collègues de service.

« Si on ne met pas fin à ce phénomène, les femmes journalistes auront toujours du mal à évoluer et à développer leurs capacités, elles auront toujours peur d’aller sur le terrain et aborder les sources qui les harcèlent. Dans leur métier, si elles sont harcelées par leurs responsables hiérarchiques, cela peut entrainer une dépendance ou redressement sur le plan professionnel, voire des traumatismes et des stresses avec des conséquences à long terme », regrette cette activiste conseillant la dénonciation pour que ces harceleurs répondent de leurs actes.

Ce que dit la loi

Le harcèlement sexuel est l’une des formes des infractions des violences sexuelle prévue par l’article 174 du code pénal congolais. Cette loi définit le harcèlement sexuel un comportement persistant envers une personne se traduisant par des paroles, des gestes, soit en lui donnant des ordres, en lui proférant des menaces ou en imposant des contraintes, en exerçant des pressions graves ou encore en abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions en vue d’obtenir de lui des faveurs de nature sexuelle. Selon l’esprit de cette loi l’auteur doit être punie d’une servitude pénale de « un  à douze ans de prison et d’une amande de cinquante mille a cent mille francs congolais ».

Maitre D’Alzon Mikundi, défenseur judicaire près le Tribunal de Grande Instance de Beni, interprète que le législateur congolais insiste sur le caractère persistant d’un comportement, d’une attitude ou des actes d’une personne vers autrui.

« En réalité, subir ces actes ne veut pas dire directement qu’on est harcelé, il faut que l’acte persiste ou soit répétitif pour parler du harcèlement sexuel. Lors de la réalisation des entretiens certaines personnes les harcèlent soit par la parole, les gestes ou attouchements, au lieu de travail elles subissent des pressions, reçoivent des ordres de leurs chefs qui leur conduira à la longue au rapport sexuel. »

A lui de préciser que dans le cadre de l’infraction du harcèlement sexuel, les poursuites ne sont pas automatiques comme pour d’autres infractions. Les poursuites sont subordonnées à la plainte de la victime. Et que donc, si les femmes journalistes victimes ne portent pas plainte il n’y aura aucune poursuite engagée contre les harceleurs.

Prendre conscience de la menace

Le président de l’Union Nationale de la Presse du Congo (UNPC/Sous-section de Beni) est conscient de la gravité et de la nature des conséquences de ce phénomène sur le métier. Mustapha MULONDA évoque le fait que les femmes journalistes et leurs harceleurs, tous ne maitrisent pas ce que veut dire harcèlement sexuel. Il pense que cela fait aussi que ces actes continuent de se produire systématiquement.

« Plusieurs organisations se limitent à sensibiliser la communauté sur les violences sexuelles et oublient l’aspect du harcèlement sexuel dans des secteurs spécifiques. Il est question d’une capacitation car même les journalistes et autres personnes pensent que le harcèlement sexuel est normal car ils sont des adultes, raison pour laquelle ils arrivent à harceler des femmes journalistes sous prétexte qu’elles ne sont pas mineures», analyse-t-il.

Depuis l’année 2021, le gouvernement congolais a mis en place une stratégie de lutte contre les violences sexuelles et celles basées sur le genre.  Une ligne verte a même été vulgarisée afin d’aider les victimes à dénoncer et se faire assister. Il s’agit du +243 495 555. Cependant, cette approche est tributaire de l’appropriation de la lutte par les membres de la communauté, dont les victimes elles-mêmes.

Par ailleurs, la partie grand Nord-Kivu compte plusieurs organisations de défense des droits de l’homme et de la femme, avec comme mission commune la lutte contre les différentes formes de violence à l’égard de la femme. Mais l’efficacité de leurs interventions pour le cas précis de harcèlement sexuel dépend énormément de la prise de conscience de la communauté et des femmes journalistes ainsi que  leurs chefs hiérarchiques.

A l’occasion du 8 mars 2021, Reporters sans frontières (RSF) a publié un rapport intitulé “Le journalisme face au sexisme”. Ce rapport révèle l’étendue des risques de violences sexistes et sexuelles auxquels sont confrontées les femmes journalistes, et leur impact sur l’information.

Sur 112 pays concernés par ce rapport, 40 ont été signalés comme étant dangereux, voire très dangereux pour leurs consœurs journaliste. Le danger ne guette pas seulement les journalistes sur les terrains classiques de reportage, ou sur les nouveaux terrains virtuels, sur internet et les réseaux sociaux, mais aussi là où elles devraient être à l’abri, dans leur rédaction.

Régine Okando et

Jérémie Kyaswekera


Cet article a été produit par le REJIAFJ dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RD. Congo » du collectif des femmes journalistes avec l’appui de l’UNESCO.  

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