RDC : voici comment l’absence de plans de sécurité dans des médias impacte sur la protection des femmes journalistes à Butembo
22 novembre 2021-Par le REJIAFJ/BUTEMBO-
Dans la ville de Butembo, à l’Est de la République Démocratique du Congo, des femmes journalistes, autant que des hommes, sont prises pour cibles dans des incidents sécuritaires. Si plusieurs facteurs président à cette situation, on ne peut ignorer aussi l’absence des plans de sécurité dans des entreprises locales de presse. Il s’avère que près de 95 pourcents de la quarantaine d’organes de presse fonctionnant dans cette ville n’ont pas de politique de sécurité. Logiquement, les plans de sécurité spécifiques aux femmes journalistes ne figurent pas sur la liste des priorités de la plupart d’initiateurs-promoteurs et des managers des entreprises médiatiques. Cette situation ne permet pas aux médias d’envisager des mécanismes de prévention des incidents sécuritaires encore moins des dispositions de riposte ou de gestion des risques, des menaces et des vulnérabilités inhérentes au métier de journaliste. La politique en matière de sécurité s’étend pourtant à la fois aux dimensions de protection physique, sociale et psychologique des chevaliers. Pourquoi la politique sécuritaire est-elle reléguée au dernier plan dans la grosse part des medias alors que les agressions contre les femmes journalistes s’enregistrent dans le milieu ? Il y a des défis à relever certes, mais des perspectives prometteuses sont aussi à noter pour différentes parties prenantes dans la sécurité et protection des femmes journalistes.
Au sein de seulement une poignée d’entreprises de presse de la ville de Butembo, on peut voir des gardiens ou des sentinelles assurer la sécurité diurne et nocturne. Aussi, des journalistes et autres membres du personnel technique et administratif se pointent le matin de bonne heure pour assurer le programme matinal, d’autres rentrent tard dans la nuit après des services vespéraux d’information ou de rédaction. D’autres encore se rendent sur le terrain pour la récolte des informations sans prendre le soin d’évaluer la situation sécuritaire du jour, sans prendre en compte les éventuelles menaces et les vulnérabilités possibles dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes. La sécurité à leurs domiciles n’est pas souvent sur la liste de leurs propres préoccupations ainsi que celles de leurs patrons. Il est vrai que la sécurité du journaliste, c’est le journaliste lui-même comme le stipule un dicton. Mais dans la plupart de cas, les mesures de sécurité des journalistes ne sont jamais discutées entre patrons, gestionnaires de plusieurs entreprises de presse et leur personnel journaliste. Si dans certaines circonstances, cela est dû au fait que la politique sécuritaire est inexistante, ailleurs, c’est parce que les parties prenantes en ignorent la pertinence. Pourtant les cas d’agression physique, psychologique, etc. en l’endroit des journalistes sont réels dans cette ville et produisent d’importantes conséquences. Les femmes journalistes sont les plus grandes perdantes. Pourtant, dans le paquet des politiques et protocoles de sécurité, plusieurs acteurs intervenant dans la protection et la sécurité des journalistes conseillent aux médias de prévoir une prise en charge sexuée, consistant à apporter une préparation et un soutien spécifiques aux femmes journalistes, qui sont confrontées à des risques propres à leur sexe tels que le harcèlement en ligne ou physique.
Le 12 février 2020, Chancy Mulonda, journaliste de la Radiotélévision des Grands-Lacs a été agressée par un groupe d’hommes en uniforme similaire à celui des forces de l’ordre munis d’armes en feu. Les événements se déroulent autour de 20h30, non loin de la Mairie de Butembo, alors qu’elle revenait de son lieu de travail. Le média n’avait pas fait grand-chose pour venir en aide à cette femme journaliste, notamment en ce qui concerne sa prise en charge médicale.
« Tout ce que j’ai vu être fait par la radio c’est que nous avons diffusé les témoignages de la victime dans notre journal. La consœur avait eu des séquelles psychologiques mais je ne me rappelle pas de ce qu’avait réellement fait la radio pour l’aider », chuchote un journaliste de la Radiotélévision des Grands-Lacs, collègue à Chancy Mulonda. Ce journaliste ne sait pas dire que prévoit la politique sécuritaire de ladite entreprise de presse.
Le 30 juillet 2020, Nadège Zawadi, journaliste à la Télévision Evangélique de Butembo, a été victime d’une agression physique de la part des personnes non autrement identifiées. Les faits se sont passés autour de 20 heures alors qu’elle revenait de son poste de travail quelques instants après la présentation du journal vespéral. Ces agresseurs l’ont dépouillée de ses biens parmi lesquels un téléphone portable et une somme d’argent. Le lendemain, à son arrivée à lieu de travail, Nadège reçoit les messages de compassion de la part de sa hiérarchie. Et c’est tout qui a été fait jusqu’aujourd’hui. Mais elle n’a jamais obtenu réparation du tort enduré. Par ailleurs, aucune initiative n’a été entreprise en vue d’en savoir plus sur les auteurs de l’agression et le mobile de leur acte ignoble en vue de prendre des dispositions nécessaires et prendre des précautions préventives.
« On ne peut que comprendre la situation comme elle se présente….Nous savons que les moyens de nos médias sont insuffisants et donc même les moyens de transport posent parfois problème», se résigne Nadège Zawadi ne sachant pas précisément les dispositions à suivre dans son média en pareille situation.
Mardi 27 avril 2021, Sifa Kahindo Bahati, femme journaliste de la Radio Soleil avait été agressée en plein exercice de son métier. Lundi 10 mai 2021, Yvette Kighoma, femme journaliste de la Radiotélévision des Grands-Lacs avait été agressée par un militaire et ses compagnons. Il s’est avéré, après investigations, que pas grand-chose n’aura été entrepris par leurs médias respectifs pour envisager le renforcement de leur sécurité après ces incidents sécuritaires.
En effet, le plan et la politique de sécurité prévoient des mesures à mettre en pratique lorsqu’une situation de menace est vécue par un journaliste. Au sujet de ce que peuvent faire les médias pour renforcer la sécurité des journalistes, des experts comme l’UNESCO, Reporters Sans Frontières, insistent sur l’établissement des habitudes, des routines, des protocoles et des systèmes clairs (notamment en matière d’assurance et de formation régulière) en vue d’améliorer la sécurité, en indiquant précisément les responsabilités des médias et des reporters ; mettre en place des contrôles journaliers et fournir des informations venant du terrain aux reporters sur les missions dangereuses ; organiser des entretiens entre les rédacteurs en chef et les correspondants avant le départ de ceux-ci en mission pour que chacun comprenne ses responsabilités et sache quoi faire en cas de problème ; protéger les locaux et les équipements, prévoir la Formation et des outils, notamment sur les évaluations de sécurité ; la sécurité en environnement hostile ; la prévention des enlèvements ; la prise en charge médicale ; la sécurité numérique; la topographie ; le soutien psychologique ; mais aussi de fournir des formations aux rédacteurs en chef et aux responsables de presse pour les sensibiliser aux questions de sécurité.
Sans contrat de travail, la sécurité financière problématique
Il s’avère que pour 10 cas d’agression des femmes journalistes, moins de 10% de victimes bénéficient d’une prise en charge médicale, psychologique ou du remplacement des matériels de travail endommagés ou emportés par les agresseurs. En principe, c’est le contrat de travail qui préciserait les dispositions pratiques de prise en charge en cas d’incident ou accident de travail.
« Dans la plupart d’entreprises locales, il n’y a pas de budget. Et donc des dépenses de ce genre ne peuvent pas être prises en considération avant même le frais de fonctionnement de l’entreprise. Déjà, plusieurs entreprises ne paient pas leur personnel. Nombreux vivent des « coupages » car travaillant sans contrats de travail. Ils ne peuvent réclamer lorsque survient un problème Le responsable du média peut beau avoir la volonté d’intervenir mais les moyens font défaut », commente Jack Maliro Katson, responsable du groupe de presse SalamAfrica
Entretemps, le fait que plusieurs femmes journalistes œuvrent dans des médias depuis plusieurs années sans connaitre leur salaire précis constitue un facteur d’insécurité financière. Et ainsi, l’absence de plan ou protocole de sécurité ou encore de la politique de sécurité constitue-t-il un problème réel pour les femmes journalistes.
« Je travaille à la radio depuis plus de trois ans, mais je n’ai jamais signé de contrat. Je ne sais pas dire avec précisions si mon salaire est de combien. Des fois, on ne me le donne même pas. Et si quelque chose m’arrive comme me faire voler mon téléphone sur le terrain, me faire agresser, je ne sais pas par où commencer pour demander qu’on m’aide à résoudre le problème… », relate une femme journaliste d’une des radios les plus réputées de Butembo.
Une autre femme journaliste d’une radio de Butembo révèle qu’elle n’est pas payée par sa radio.
« Je me débrouille sur le terrain. Lorsque je vais couvrir une activité et qu’on me donne quelque chose, je le mets en poche et la vie continue comme ça…Un confrère avait perdu un enregistreur appartenant à la Radio. On lui a exigé de l’acheter, pourtant il s’est perdu dans une bousculade entre des manifestants de la Véranda Mutsanga et la police. Je me demande ce que serait le cas si elle en sortait blessée ou avec quelque chose de pire », s’interroge, sous anonymat, cette femme journaliste.
Ces avancées à encourager
Certains médias de Butembo, évidemment pas nombreux, fournissent un effort pour avancer d’un pas vers la mise en place, à l’avantage de leur personnel, d’un environnement sécurisé.
La Radio Okapi, antenne locale de Butembo est un bel exemple. Bien que ne disposant pas d’un plan de sécurité spécifique à la femme journaliste, cette entreprise s’approprie le plan de sécurité général et commun à tous les agents de la mission onusienne.
« C’est ce plan de sécurité qui nous sert de garde-fous. Ensuite, on est toujours soumis à des formations ayant trait à la sécurité du personnel », explique Sadiki Aboubacar, Coordonnateur de la Radio Okapi, antenne de Butembo.
Philippe Makomera, Directeur des programmes de la Radio Moto Butembo-Beni rassure que cette entreprise de presse a déjà mis en place une série de mesures particulières visant à protéger les femmes journalistes.
«Je ne peux pas donner beaucoup de détails sur ces mesures. Mais je me réjouis que cela fonctionne bien car, jusqu’ici, aucune femme journaliste de Radio Moto Butembo-Beni n’a été victime d’un incident malheureux lié à son métier… », précise-t-il, bien que sans montrer le document du plan de sécurité.
Grâce à la formation dont elle a bénéficié de la part de Protection International, la Radio Communautaire Salama émettant dans la villede Butembo se base sur le plan de sécurité et la politique de sécurité du Collectif des Femmes Journalistes et qui s’étend sur différentes activités de cette organisation féminine. C’est ce plan qui a été mis en application lorsque le 9 janvier 2020, Alice Kapisa, journaliste et alors directrice de cette radio dédiée à la femme avait été victime d’une agression mortelle de la part des bandits non autrement identifiés pendant qu’elle revenait de son lieu de travail vers 19h30.
« Ce soir, elle a subit des menaces de mort avant d’être tabassée. N’eût été le fait qu’elle a appliqué quelques astuces salvatrices et actions d’urgence contenues dans notre plan de sécurité, elle puvait y laisser sa peau. Il est vrai qu’elle s’en est sortie avec des blessures », explique Gentille Mugeni, Rédactrice en Chef de la Radio Communautaire Salama.
Alice Kapisa témoigne elle-même de ce que le plan de sécurité appliqué par la Radio l’a sortie du pétrin.
« J’ai été prise en charge par ma radio, juste après l’agression. J’ai été évacué de la ville pendant plus d’un mois. C’est ce que prévoit le plan de contingence de notre radio et du Collectif des Femmes Journalistes. Après un traitement psychologique pris en charge par ma radio, j’ai été réinsérée sur le plan professionnel. En réalité, ces actions faites à ma faveur par ma radio nourrissent mon courage de continuer à exercer ma carrière… », témoigne-t-elle.
Les défis à relever
Pour comprendre le pourquoi de l’absence du plan de sécurité dans des entreprises médiatiques de Butembo, il faut aller vers les promoteurs et les responsables des medias. Mais certains d’entre font tout pour éviter d’aborder le sujet.
Monsieur Kitungu Sikwaya Jean-Paul, Promoteur de la Radio Utamaduni de Butembo , reconnait que le plan de sécurité est l’un des préalables lors de la création d’une entreprise de presse.
« C’est inévitable que quand on crée une entreprise de presse, on pense aussi à la sécurité des patrimoines et des ressources humaines dont les agents et ce sur tous les plans : physique, sociale, psychologique etc… », relate-t-il, assurant tous les medias dont il est promoteur disposent d’un plan de sécurité.
« Mais faut-il que ces plans soient adaptés aux besoins spécifiques de femmes journalistes », nuance Sikwaya Jean-Paul.
Umbo Salama est le Directeur de Radio Soleil émettant dans la ville de Butembo. Il affirme que sa radio dispose de ce plan de sécurité axé sur les femmes journalistes. Cependant, ce plan n’est pas écrit.
« Il y a toujours ce plan. Mais c’est un plan non écrit. (Donc il est verbal, ndlr) Nous avons déjà définit certaines mesures de sécurité de notre personnel… », explique-t-il.
Piscas Kanyororo est le Directeur de la Radio Sauti ya Wakulima émétant également dans la ville de Butembo. Il estime que la sécurité de ses agents est assurée même à l’absence de ce plan. Il reconnait quand-même que les journalistes de sa radio y compris les femmes sont parfois victimes de menaces que lui qualifie de « simples intimidations ». « … Une d’elle a même abandonné le métier suite aux menaces… », a-t-il révélé sans donner plus de détails.
D’autres responsables des medias, d’ailleurs la plupart, entendent parler de plan de sécurité, sans savoir de quoi il s’agit exactement. Le peu de medias qui en disposent évoquent par ailleurs la difficulté de le mettre en application faute, des moyens financiers.
« Bon, j’attends parler de plan de sécurité, mais je n’en sais pas trop et je ne sais même pas comment ça se fait… », avoue un autre responsable d’une radio locale.
Muhindo Wema est expert en matière de sécurité des journalistes. Il reconnait la pertinence du plan de sécurité en faveur des professionnels des medias vu les multiples menaces auxquelles ils sont confrontés régulièrement. Il estime cependant que ce phénomène « n’est pas une spécificité de la ville de Butembo mais que c’est une ce qui se passe dans toute la RDC.
« Dans les medias du Congo, prêt de 80 pourcents des medias ne disposent pas de plans de sécurité pour leur staff… », précise-t-il.
Wema Kennedy, s’inscrit dans la logique d’un plan de sécurité globale, c-à-d un plan touchant les plans de la sécurité physique, la sécurité sociale, la sécurité économique, la sécurité morale, la sécurité psychologique,…
« Le contexte congolais fait que les promoteurs de médias créent des organes de presse sans mettre en évidence tous les préalables requis tel que l’élaboration de ce plan. Ils se contentent d’acheter des matériels, de recruter des journalistes,… sans penser à leur protection et à leur sécurité…Or ça ne devrait pas se passer comme ça », regrette-t-il, en faisant remarquer que le risque d’agression contre les journalistes est élevé suite à l’absence de plan de sécurité et que cela a d’énormes conséquences négatives.
Des perspectives prometteuses
Ce phénomène ne laisse pas indifférente l’Union National de la Presse du Congo (UNPC), Section de Butembo. Rashidi Amouri Kasongo, Président de cette structure se dit conscient de l’ampleur du risque que les professionnels de medias courent suite à l’absence de ce document de référence. Evoquant un constat fait lors d’un travail de cartographie des médias de la ville en début 2021, le Président de l’UNPC Butembo envisage un plaidoyer auprès des responsable des médias locaux pour l’élaboration, chacun pour son entreprise, d’un plan de sécurité afin renforcer la protection de leurs agents.
« C’est un travail que nous sommes en train de faire et au niveau de l’UNPC, nous comptons aussi élaborer un plan global de sécurité en faveur de tous les journalistes de la ville y compris les femmes… », annonce-t-il.
Le Groupe d’Association des Défenses des Droits Humains et de Paix (GADHOP) reconnait que les professionnels de medias sont dans la catégorie des défenseurs des droits de l’homme, conformément à la déclaration universelle des droits de l’homme, à son article 18.
« Les journalistes, autant que d’autres défenseurs des droits de l’homme, sont exposés à de multiples risques et cela de manière disproportionnée. Ceci implique la nécessité de la mise en place d’un outil de base pouvant servir de guide de prévention contre les éventualités. Et que donc les organes de presse devrait élaborer un plan de sécurité propre pour assurer tant soit peu la protection de leurs prestataires journalistes. Le plan de sécurité axé sur les femmes est celui qui met en exergue des stratégies répondant aux besoins spécifiques des femmes…», indique Jérémie Kitakya, Secrétaire Permanant du GADHOP.
Le 11 novembre 2019, les députés provinciaux du Nord-Kivu ont adopté à Goma l’Édit provincial sur la protection des hommes et femmes défenseur∙e∙s des droits humains (F/DDH) et journalistes au Nord-Kivu. Ce document constitue un instrument de niveau provincial et local sur la protection des journalistes.
Cette enquête a été réalisée par les journalistes points focaux du REJIAFJ noyau de Butembo, notamment
Didy Vitava,
Joel Kaseso,
Bernadette Kalondero,
Claudine Mulengya et
Jérémie Kyaswekera
dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RDcongo » du collectif des femmes journalistes appuyé par l’UNESCO.