RDC : à Beni, des femmes journalises font face au harcèlement sexuel lors de la récolte des informations sur le terrain.

27 février 2022 Par cfj 0

A Beni, à l’Est de la République Démocratique du Congo, le harcèlement sexuel figure sur la liste des défis auxquels font face les femmes journalistes. La récolte des informations sur le terrain présente ainsi un grand danger pour ces professionnelles du micro. Si ce n’est pas les sources d’informations qui ont cette tendance de demander aux femmes journalistes des faveurs à caractère sexuel en contrepartie de l’accès à certaines informations, c’est la communauté, souvent mal informée, qui considère le femme journaliste comme une femme de meurs légères. Cela est à la base de nombreuses conséquences. Le comble est que la dénonciation n’est toujours pas à l’ordre du jour dans le camp des victimes. 

L’histoire de la journaliste Julienne (prénom d’emprunt) est une illustration vivante de cette antivaleur réprimée par la loi relative à la lutte contre les violences sexuelles et celles basées sur le genre. Cette histoire est racontée à cœur ouvert par son confrère Trésor Malu, de la même ville de Beni. Le matin d’un certain jour d’octobre 2021, la journaliste sort du conseil de rédaction comme elle fait chaque matin, pour se rendre au terrain. Pour cette fois notre femme journaliste doit interviewer une autorité administrative de la place. Elle décide de se faire accompagner par Malu, son compagnon qui maitrise mieux les coordonnées.

«Quand nous sommes arrivés, la personne ressource a posé certaines conditions qui frisent l’immoralité. L’autorité a commencé à faire des avances à la journaliste, avant d’accepter de nous accorder l’interview. Apres l’interview, il a promis de livrer d’autres détails plus intéressants  et alléchants relatifs à cette information plus tard à la jeune journaliste si celle-ci lui laissait ses contacts et coordonnés téléphoniques… », nous raconte Trésor Malu le témoin de l’événement.

Une source d’informations rusée

En réalité, les détails alléchants et intéressants promis n’étaient que de la ruse pure et simple. Le bourreau ne cherchait que les moyens de réaliser sa vision malintentionnée. Et c’est des actes de harcèlement qui se sont ensuivis.

« L’homme a continué ses sollicitations des faveurs sexuelles notamment via des messages et images obscènes. Cette situation a duré plusieurs mois jusqu’à ce que la victime a pris l’option de placer ce numéro de téléphone dangereux dans la liste noire », raconte Julienne, précisant que ces n’est pas le seul auquel elle ait fait face.

Elle révèle que d’autres sources exigent clairement des faveurs sexuelles comme condition en échange des informations sensibles et cela lui rend le travail difficile.

Plusieurs femmes journalistes ont déjà été victimes de ce genre d’acte immoral de la part de certaines personnes ressources pourtant bien connu mais jamais inquiétées par qui que ce soit, ni par les victimes elles-mêmes.

Le sujet parait sensible au point où les victimes elles-mêmes ne veulent même pas en parler. Selon certaines d’entre-elles, non-seulement c’est « pour des raisons de convenance individuelle » mais aussi c’est « traumatisant ».

Ces perceptions sexistes

Dans les milieux urbains, des femmes journalistes seraient perçues comme des personnes aux mœurs légères et qu’elles entretiendraient des relations amoureuses avec des autorités. Pourtant la pratique  prouvé le contraire.

« Des gens, même mes propres confrères pensent que je sors avec une des autorités policières de la ville. Pourtant, c’est juste une connaissance avec laquelle je suis entrée en contact grâce au métier, lorsque je viens chercher le deuxième son de cloche. Je ne comprends toujours pas comment on peut me coller une telle considération. J’essaie d’analyser les tendances de ma hiérarchie, je sens aussi ces clichés. Quand par exemple il faut aller rencontrer la police, on me dit, c’est moi qui suis habituée aux commandants de police, c’est moi qu’on va vitre recevoir, il y a des non-dits dans ces bouts de phrase et cela me frustre… », fait remarquer une journaliste de Beni.

D’autres vont jusqu’à penser que cela soit à la base du faible taux de mariage de femmes journalistes.

« Des gens qui ne font pas de bons calculs statistiques s’imaginent que des femmes journalistes ne se marient pas tôt parce qu’elles auraient des relations amoureuses louches avec des autorités administratives, politiques, militaires et policières. Et pourtant, notre métier nous oblige à nous ouvrir à ces autorités, à être permanemment en contact avec elles qui ont des informations institutionnelles et officielles. Il arrive que quelqu’un vous demande d’aller plaider sa cause auprès d’une autorité avançant que vous êtes son amie et ce concept amie est souvent difficile à interpréter», confie, sous anonymat, une autre journaliste œuvrant dans une des radios les plus suivies de Beni.

Même des sources d’informations ont tendance à adopter cette façon de voir les choses.  Certaines demandent aux femmes journalistes de repasser après pour un sucré ou pour une sortie.

« Moi j’ai été dans l’un des bureaux d’ici à Beni où je cherchais l’information. J’ai bien été reçue et on a bien terminé. Je n’avais pas demandé de transport mais du coup ma source me demande pourquoi je n’ai pas fait allusion aux frais de transport. Je lui ai dit que ma radio assure tous mes déplacements. C’est là que cette autorité me demandera si je suis mariée ou non. Je lui ai répondu que j’étais pas encore mariée…puis il me proposera de sortir avec lui… », conte Jessica (prénom d’emprunt).

En 2021, Reporters Sans Frontières a publié un enquête intitulée « Le journalisme face au sexisme », dans laquelle elle dévoile que le double risque auquel sont confrontées de nombreuses femmes journalistes est une réalité trop répandue, non seulement sur les terrains de reportage classiques comme sur les nouveaux terrains virtuels, sur internet, mais aussi là où elles devraient être à l’abri, dans leur rédaction.

Dans l’avant propos de cette enquête, le Secrétaire Général de RSF entend par sexisme toutes les formes de violences sexistes et sexuelles : discriminations, insultes, harcèlement sexuel, attouchements, agressions verbales et physiques à caractère sexuel, menaces de viol, voire viol. Il indique que ces phénomènes ont des conséquences néfastes sur le pluralisme de l’information.

Cette même enquête place la RDC sur la liste des pays considérés comme dangereux pour les femmes journalistes.

 

 

Régine Okando Ngamaneni

et Jérémie Kyaswekera  


Cet article a été réalisé par les journalistes membres du REJIAFJ dans le cadre du projet « pour la protection des femmes journalistes en RD. Congo » du collectif des femmes journalistes (CFJ) avec l’appui de l’UNESCO

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