RDC : à Butembo, les dysfonctionnements de la justice catalysent l’impunité et la continuité des agressions contre des femmes journalistes

28 février 2022 Par cfj 0

A Butembo, à l’Est de la RDC, une relation étroite s’établit entre l’impunité entretenue autour des agressions contre des femmes journalistes et la continuité de ces infractions qui se commettent d’années à années. Cette impunité est une résultante des responsabilités partagées notamment entre les victimes qui ne dénoncent pas et les animateurs des structures de l’appareil judiciaire qui ne s’autosaisissent pas des dossiers. Le fait que la justice congolaise n’est pas suffisamment dotée des moyens, le monnayage des opérations judiciaires ainsi que les intimidations et trafic d’influences, voilà autant de causes qui entourent cette problématique.

La ville de Butembo a enregistré une dizaine de cas d’agressions en l’endroit des femmes journalistes en 2020 et 2021. Parmi elles, on pet citer Alicia Kapisa de Radio Salama, Sifa Bahati de Radio soleil, Chancy Mulonda, Yvette Kighoma et Gloria Sivasingana toutes les trois de la Radiotélévision des Grand Lacs. Toute la quinzaine de femmes journalistes qui ont été agressées n’ont jamais obtenu réparation, encore moins leurs bourreaux n’ont jamais été interpelés. En effet certains sont identifiés et bien connus alors que d’autres sont des inconnus. Aucun écho d’une quelconque enquête n’a jamais été entendu. Il y en a même parmi elles qui ont été agressées deux ou trois fois la même année. Elles mènent leur métier la peur au vendre ne sachant rien sur les causes de leur agression, encore moins pour certaines d’entre elles, l’identité et les motivations de leurs agresseurs.

Les agressions auxquelles ces femmes journalistes ont été confrontées sont de nature d’agressions physiques, psychologiques, de menaces de mort ou tentative d’assassinat, intimidations ou encore de harcèlement sexuel et cela dans le cadre de l’exercice de leur métier.

Le pourquoi du silence autour des agressions

Il est légitime de se demander pourquoi la justice garde un silence face à cet arsenal d’actes infractionnels qui mettent en péril le métier des femmes journalistes. Même les victimes gardent un silence qui peut être qualifié de complice. Il est donc nécessaire de comprendre les ménaces autour de la série des agressions envers les femmes journalistes.

Le premier aspect à noter est tel que certains agresseurs des femmes journalistes sont connus et bien identifiés mais ils n’ont jamais fait objet d’une quelconque poursuite judiciaire par auto-saisine  du parquet dont la mission première est de traquer les infractions et les déférer devant les instances compétentes. Le deuxième fait est tel que les victimes, elles-mêmes, ou les organisations de défense des droits des femmes ne prennent pas l’initiative de conscientiser les femmes journalistes victimes d’agression d’aller en justice contre leurs bourreaux. Et c’est ainsi que nait et perdure l’impunité de ces acte pendant que les auteurs circulent librement comme si de rien n’était.

« … cette impunité favorise la commission d’autres agressions par les mêmes personnes et par d’autres… et c’est ainsi qu’on observe des cas d’agressions récidivistes… », analyse Maitre Nzanzu Kamuha, Responsable de la Cellule Juridique du Collectif des femmes Journalistes.

Des femmes ont subi des agressions à plusieurs reprises et rien ne prouve qu’il ne s’agit pas de mêmes auteurs car aucune lumière n’a jamais été faite sur ces violences physiques dont elle est la cible. Le cas le plus éloquent est celui de Zawadi Nadege de la Radio Evangélique de Butembo, attaquée à deux reprises au cours de l’année 2020 sur en provenance de son lieu de travail. Ces deux agressions se situent dans un espace de moins de six mois. D’autres cas similaires ont déjà été enregistrés.

Quand la justice n’inspire confiance

Des citoyens, parmi lesquels des journalistes qui ont déjà été victimes d’une ou une autre forme de violence ou agression, ne font pas totalement confiance en la justice. Parce qu’en effet, le parquet précisément est mis en cause dès qu’il ne réalise pas les tâches lui attribuées par la loi organique portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judiciaire conformément à l’article 163 de la constitution de la RDC. Selon l’esprit de cette loi, le Parquet se saisi du dossier par son propre initiative et donc, il s’agit du rôle de rechercher les infractions dans la société et le déférer devant les instances compétentes.

« Notre justice fait face aux problèmes financiers. La loi donne des attributions au parquet, mais celui-ci, sans moyens, ne peut pas savoir traquer les infractions comme il se doit. L’argent facilite tout », analyse une source dans le couloir du Parquet de Grande Instance de Butembo lors d’un entretien au mois de mai 2021

Ce manque de confiance est à la base de la résignation des victimes qui ne croient pas un seul instant à l’aboutissement heureux de leurs dossiers.

« … même s’il me fallait introduire une plainte en justice contre mon agresseur, j’aurais peut-être perdu inutilement mon temps et même de l’argent car je présume qu’il y aurait toujours pas une suite favorable avec la légèreté qu’il y a dans la justice dans notre pays », se plaint Zawadi Nadège.

Et à la journaliste Alicia Kapisa de Salama FM d’ajouter :  « Je n’avais pas eu le courage de porter plainte. Je me suis rappelée qu’ici chez nous, les plaintes contre inconnus moisissent dans les tiroirs des autorités judiciaires et ça n’aboutit généralement pas… »

Muhindo Wema Kennedy qui est journaliste depuis plus de 20 ans analyse qu’il existe depuis longtemps une forme de corruption dans le système judiciaire congolais. Connaissant les conditions dans lesquelles les journalistes de Butembo travaillent, il estime que c’est moins facile pour eux de supporter les exigences des procédures judiciaires.

« il n’est pas facile de se présenter au parquet et que votre plainte soit recevable sans que les magistrats ne vous exigent quelque chose. Ils demandent toujours de l’argent… », fait-il constater ajoutant que cela ne facilite pas du tout la poursuite des agresseurs et par conséquent, la lutte contre l’impunité dont ils bénéficient en défaveur des victimes.

Justice : couteuse et corrompue

En RDC, la justice est coûteuse, et elle est perçue comme telle. Des organisations de défense des droits humains ont confirmé que de nombreuses victimes, découragées par le prix élevé des frais de justice et par le manque d’argent, ne portent pas plainte. Même celles qui ont la chance d’avoir des avocats qui acceptent de les représenter gratuitement doivent encore payer des frais de justice.

Les sources très proches du parquet et du Tribunal de Grande Instance de Butembo révèlent que le monnayage des actes des procédures judiciaire est bel et bien réel à Butembo.

« Lorsqu’une victime introduit un dossier en justice, elle est sommée de payer des frais à chaque étape de la procédure. Du dépôt de la plainte jusqu’à la prononciation du jugement en passant par le traitement du dossier. Si la victime est vraiment déterminée à poursuivre son dossier jusqu’au bout, les frais à payer peuvent aller même au-delà de 200 dollars américains, sans compter les émoluments de son avocat. C’est pourtant contraire à la loi en la matière », commente un homme en toge noire prestant au Tribunal de Grande Instance de Butembo.

La conséquence en est que les victimes sont découragées en amont dès lorsqu’elles ne disposent pas de moyens nécessaires Et ainsi l’impunité trouve-t-elle une bonne santé dans le milieu.

C’est d’ailleurs dans le but d’accompagner les femmes journalistes que le collectif des femmes journalistes a mis en place une cellule juridique afin de leur faciliter l’accès à la justice dans le cadre du projet « Pour la protection des femmes journalistes en R.D. Congo » appuyer par l’UNESCO.

Eviter les arrangements à l’amiable

Maître Nzanzu Kamuha, défenseur judiciaire près le TGI Butembo et Responsable de la Cellule Juridique du CFJ, confie que si la victime n’a pas le souci d’initier une quelconque action en justice.

« Cela complique parfois les choses et ne favorise pas la poursuite des auteurs. Car on a besoin de son aval pour ester en justice », fait-il remarquer.

L’Union Nationale de la Presse du Congo regrette que des femmes journalistes optent pour la gestion des dossiers à l’amiable alors qu’il s’agit bien des faits pénaux.

« Cette attitude constitue un gage pour la continuité de l’impunité en faveur des auteurs des agressions », analyse Claude Muhindo Sengenya, vice président de la corporation des journalistes, UNPC/Section de Butembo.

Il note que sans l’aval de la victime, l’UNPC est limitée à un certain nombre d’actions pour tant soit peu préserrver la liberté de la presse.

L’Association des femmes juristes pour les droits de la femme (FJDF) partage la même difficulté. Maitre Maggy Panza, chargée de vulgarisation au sein de FJDF, cette structure a pour mission d’accompagner juridiquement les femmes victimes de toute sorte d’agression et déférer les auteurs devant la justice.

«Nous avons toujours accompagné les victimes d’agressions afin qu’elles soient remises dans leurs droits et que les auteurs soient punis conformément à la loi. Mais le problème avec les femmes journalistes est qu’elles ne viennent pas dénoncer auprès de nous. Nous l’apprenons comme tout le monde dans les médias et à travers les réseaux sociaux mais elles ne viennent pas vers nous pour exprimer la volonté d’être accompagnées… » explique-t-elle.

Elle ajoute FJDF dispose de toutes les ressources nécessaires pour contribuer à la lutte contre l’impunité des agressions à l’égard des femmes. Mais que cela dépend du consentement et de la volonté de la Victime.

« On ne peut obliger personne à aller en justice. FJDF n’as pas le pouvoir de saisir la justice pour rechercher l’auteur sans l’aval de la victime… », nuance-t-elle.

Bernadette Kalondero,

Claudine Mulengya et 

Jérémie Kyaswekera 

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